jeudi, février 05, 2015

Le Conseil d'Etat siffle la fin de la récré ! Lignes directrices... Circulaire... ! Y'a rien à voir !


Dans un arrêt n° 383267, 383268, du 4 février 2015, la haute juridiction administrative française juge que la circulaire du ministre de l’intérieur du 28 novembre 2012 dite "Valls" ne peut pas être invoquée devant le juge administratif.


Par une circulaire du 28 novembre 2012, le ministre de l’intérieur, devenu Premier ministre depuis, a donné à ses services des instructions relatives aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, en particulier lorsqu’ils ne disposent d’aucun droit au séjour sur le fondement des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). 

Un contentieux sur un refus de titre de séjour opposé à un étranger en situation irrégulière a conduit le Conseil d’État à préciser la nature juridique de cette circulaire et à se prononcer sur la possibilité pour un requérant de s’en prévaloir devant le juge administratif.
La question posée impliquait de déterminer si cette circulaire était une simple circulaire ou si elle énonçait des « lignes directrices », qui fixent des critères que l’administration doit examiner lorsqu’elle se prononce sur une demande. 

D’après une jurisprudence constante (CE 22 février 1999, Epoux Useyin, n° 197243), une simple circulaire n’a aucune valeur normative et ne peut donc être invoquée devant le juge. En revanche, si elle contient des « lignes directrices », un requérant peut alors s’en prévaloir devant le juge. Dans ce cas, s’il remplit les critères énoncés par ces « lignes directrices », l’administration ne peut lui opposer un refus à moins qu’elle ne dispose d’un motif légitime pour s’en écarter.

Le tribunal administratif de Paris (18 décembre 2013, n° 1306958avait cependant jugé que la circulaire dite Valls du 28 novembre 2012, pouvait être invoquée devant le juge administratif dès lors qu’elle contenait des lignes directrices. Le tribunal avait bien sûr confirmé que les orientations données par la circulaire du ministre de l’intérieur du 28 novembre 2012 ne constituaient pas des règles impératives. Mais il a considéré qu’il appartient aux préfets, saisis de demandes de régularisation présentées sur le fondement des dispositions législatives prévues à cet effet, de les examiner en prenant en considération les lignes directrices définies par cette circulaire. Le Tribunal a ainsi retenu que les intéressés pouvaient s’en prévaloir devant le juge administratif. Il a néanmoins précisé que, dès lors que ce ne sont pas des règles impératives, les préfets peuvent toujours s’écarter des orientations ainsi fixées lorsque la situation particulière du demandeur le justifie ou pour des motifs d’intérêt général.

Par des arrêts n° 14PA00226 et 14PA00358 du 4 juin 2014, la Cour administrative d’appel de Paris, réunie en formation plénière, avait confirmé cette position. La 1ère Chambre de la même Cour a même eu l'occasion de confirmer cette position le 23 janvier 2015 (req. n° 14PA01311) en rejetant l'appel du préfet et cela malgré la présentation des conclusions contraires du rapporteur public du conseil d'Etat (preuve de résistance ! ou pied de nez ?).

Malgré cette position, partagée également par d’autres cours (Bordeaux-n°14BX00347 du 9 juillet 2014, Nancy-n°13NC02240 du 13 novembre 2014), la Cour administrative d’appel de Lyon, également réunie en formation plénière, a pris une décision différente le 4 octobre 2014.

La Cour de Lyon considère qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ; les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus reposant sur des règles spécifiques ;  l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public qui est une exigence de valeur constitutionnelle ; il ne saurait exister un droit à la régularisation.
Pour la Cour de Lyon, s’il est loisible à l’administration, même lorsqu’elle ne dispose pas du pouvoir réglementaire, de définir dans un texte général, sans édicter aucune condition nouvelle ni méconnaître l’objet de la législation, les orientations qu’elle entend appliquer pour traiter, sans renoncer à exercer son pouvoir d’appréciation, les demandes individuelles qui lui sont faites au titre de son pouvoir discrétionnaire, et que ces orientations peuvent lui être opposées, il en va différemment lorsque, statuant en matière  de régularisation des étrangers, elle exerce un pouvoir à titre gracieux et exceptionnel  au regard de la situation particulière qui lui est soumise ; dans ce cas, l’administré ne peut pas utilement invoquer les prévisions de ce texte, lequel ne saurait lui conférer aucun droit.

Dans ces conditions, la Cour de Lyon estime que si en se référant aux situations administratives décrites dans un texte non réglementaire émanant de l’administration, le demandeur peut être regardé comme invoquant le principe d’égalité, il résulte du caractère gracieux et exceptionnel d’une mesure de régularisation  que le préfet ne saurait être tenu de faire droit à une demande de régularisation ou de régulariser la situation administrative d’un étranger ; pour contester l’appréciation faite par l’administration de sa situation particulière, l’étranger ne peut donc utilement faire valoir ni qu’il est placé dans une situation administrative semblable à celle d’un autre étranger ni que sa situation entrerait dans les prévisions d’une circulaire.


Dans un arrêt n° 383267, 383268, du 4 février 2015, le Conseil d’Etat fixe la jurisprudence en précisent que la décision de la Cour administrative d’appel de Paris du 4 juin 2014 était entaché d’erreur de droit. Le Conseil d’État juge que les indications figurant dans la circulaire du ministre de l’intérieur du 28 novembre 2012, relative aux conditions d’examen des demandes de régularisation des ressortissants étrangers en situation irrégulière, constituent de simples « orientations générales » : par conséquent, cette circulaire ne peut être invoquée devant le juge administratif.

La Haute juridiction administrative rappelle qu’un étranger en situation irrégulière ne dispose pas, à quelque titre que ce soit, d’un droit impliquant qu’un titre de séjour lui soit obligatoirement délivré mais que le préfet peut toujours, à titre gracieux et exceptionnel, le lui accorder pour régulariser sa situation. Le Conseil d’État en déduit que la circulaire du 28 novembre 2012 contient de simples « orientations générales » qui ne sont destinées qu’à éclairer les préfets dans l’exercice de ce pouvoir de régularisation et qu’il n’est donc pas possible d’invoquer devant le juge.

La solution choisie par le Conseil d’Etat peut juridiquement se comprendre, tant les solutions du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel de Paris nous paraissaient audacieuses. Mais on ne peut que regretter que la haute juridiction administrative n’ait pas saisi l’occasion de confirmer une position qui était conforme au principe de la sécurité juridique qui est particulièrement nécessaire dans cette matière imprégnée de considérations humaines. En effet, la Circulaire dite Valls avait suscité beaucoup d'attente et d’espoir chez les étrangers qui sont pour la plupart insérés dans la société française. Il était prévu que cette circulaire soit la prémisse d’une modification législative et
 un débat au Parlement, il est vrai sans cesse repoussé, qui devait initialement avoir lieu en début 2013 !

Pour le reste, dès lors que ladite circulaire effectue des rappels de positions jurisprudentielles antérieurs, il conviendra désormais de motiver davantage les demandes d’admissions au séjour et muscler l’argumentaire devant le juge administratif en s'inspirant de son contenu. 

La tâche incombera également au législateur -s’il est courageux- de veiller au respect du principe de sécurité juridique, nécessaire dans nos sociétés démocratiques (voir F. Grech, "Le principe de sécurité juridique dans l’ordre constitutionnel français"). Si la sécurité juridique est une impérieuse nécessité de l’ordre communautaire (Dossier : Le principe de sécurité juridique, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 11 du décembre 2001), s’il est aussi nécessaire pour l’entreprise ("L’entreprise et la sécurité juridique", Colloque du 21 novembre 2014  au Conseil d’Etat), pourquoi ne le serait-elle pas pour le particulier, fut-il étranger, mais humain d’abord ?

Le principe de sécurité juridique constitue un principe général du droit communautaire depuis un arrêt Bosch du 6 avril 1962 de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). En France, le Conseil constitutionnel reconnaît, dans une décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, une valeur constitutionnelle à l’objectif « d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ». Il réaffirme ce principe à l’occasion de l’examen de la loi de finances pour 2006 : dans sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, il censure une disposition relative au plafonnement global des avantages fiscaux, en raison de son excessive complexité, qu’aucun motif d’intérêt général ne suffit à justifier. Le Conseil d’Etat, qui en fait déjà application dans l’exercice de ses fonctions consultatives, consacre le principe de sécurité juridique dans une décision du 24 mars 2006 Société KPMG et autres. En matière judiciaire, la Cour de cassation prend également en compte les exigences découlant de ce principe.

Rappelons pour mémoire que la sécurité juridique est ainsi définie par le Conseil d’Etat dans son rapport public 2006 : « Le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles ». Le Conseil d’Etat, rappelle également que la sécurité juridique « constitue l’un des fondements de l’Etat de droit ».

C’est précisément ce qui est demandé au législateur et au pouvoir réglementaire également en droit des étrangers et particulièrement quant à l’application des dispositions de l’article L. 313-14 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : la clarté ! notamment des décisions administratives surtout de police générale. 

Or, celle-ci passe par la mise en place de critères d’appréciation définis qui évitent l’arbitraire. Même lorsque le pouvoir de l’administration est discrétionnaire, ce qui est le cas en droit des étrangers, l’obligation de légalité doit permettre d’éviter l’arbitraire que combat nécessairement, toute société démocratique. Pour ce faire, il convient d’imposer à l’administration, au moins lorsqu’elle édicte des mesures de police, de mieux motiver ses décisions (voir sur ce point : Loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations et Loi n°79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et aux relations avec l’administration). 

Le pouvoir discrétionnaire aboutit à une non soumission partielle au droit et une absence de contrôle juridictionnel approfondi. Précisément, parce qu'en matière de contrôle de la légalité du pouvoir discrétionnaire de l'administration, le contrôle du juge administratif est limité à l'erreur manifeste d'appréciation. Or dans ce cas, il est nécessaire que la décision de l'autorité comporte suffisamment de précisions dans les motivations, pour permettre un contrôle effectif de la légalité de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire afin d'éviter l'arbitraire. Plus la motivation est vague et plus le contrôle juridictionnel est rendu difficile. 

C'est là une piste de réflexion, car en pratique cela est rarement suivi par le juge administratif. En effet, la jurisprudence valide le plus souvent, la légalité de décisions pourtant stéréotypées des préfectures, dès lors qu’elles sont un tant soit peu personnalisées (parfois la simple mention du nom et de la date de naissance suffisent ! Le juge administratif a donc, de facto, renoncé à son pouvoir de contrôle ! 

C’est en cela que le citoyen, et l'avocat en droit des étrangers en particulier, ne peuvent se satisfaire de la décision du Conseil d’Etat. Une occasion a été manquée. Si la circulaire devenait opposable à l’administration, celle-ci aurait alors été obligée de motiver davantage ses décisions et justifier des raisons pour lesquelles elle se serait écarté des règles de conduite ou des critères prévus par la circulaire. Il aurait pu s'agir d’un renforcement des garanties offertes aux administrés, fut-ils étrangers, même sans titre de séjour. 

Cela aurait d'ailleurs été conforme à l'évolution souhaitée ou souhaitable prônée par la haute juridiction administrative dans son rapport annuel de 2013 intitulé, "Le droit souple". Il est vrai que comme souvent, le droit des étrangers est considéré comme un "droit à part", puisqu'il s'agit, comme on le dit très souvent... d'"un contentieux de masse" ! 

Tout reste à faire ou presque...

Nous pensons néanmoins que si le Conseil d'Etat a sifflé la fin de la récré, il invite tout de même l'étranger à utiliser les critères de ladite circulaire pour "soutenir que la décision du préfet, compte tenu de l’ensemble des éléments de sa situation personnelle, serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation".

En cela, la décision du Conseil d'Etat présente une note d'espoir qui réjouit le juriste. 


A retenir :

Désormais, pour le Conseil d’état : « en dehors des cas où il satisfait aux conditions fixées par la loi, ou par un engagement international, pour la délivrance d’un titre de séjour, un étranger ne saurait se prévaloir d’un droit à l’obtention d’un tel titre ; que s’il peut, à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir formé contre une décision préfectorale refusant de régulariser sa situation par la délivrance d’un titre de séjour, soutenir que la décision du préfet, compte tenu de l’ensemble des éléments de sa situation personnelleserait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, il ne peut utilement se prévaloir des orientations générales que le ministre de l’Intérieur a pu adresser aux préfets pour les éclairer dans la mise en œuvre de leur pouvoir de régularisation ». 

Zia OLOUMI
Docteur en droit, Avocat
Février 2015

« Les avocats sont des gêneurs pour le système judiciaire 
car ils viennent constamment rappeler que le droit s'organise autour d'un énorme trou. »
Jean-Pierre Winter, psychanalyste, in Daniel Soulez-Larivière, L'avocature, Le Seuil, 1995