jeudi, mai 14, 2015

Inégalités, immigration et hypocrisie

La crise des flux migratoire en Europe révèle un défaut majeur, voire une hypocrisie flagrante, dans le débat en cours sur les inégalités économiques.

Un véritable soutien favorable au progrès ne doit-il pas représenter une véritable chance pour tous les habitants de la planète, plutôt que seulement pour ceux d'entre nous qui ont eu le privilège de naître et de grandir dans un pays riche ? De nombreux leaders d'opinion dans les économies avancées préconisent une doctrine de droits sociaux. Mais de tels droits sociaux ne franchissent pas les frontières : bien qu'ils tiennent pour un impératif absolu une meilleure redistribution dans différents pays, les habitants des marchés émergents ou des pays en voie de développement en sont exclus.

Des milliards de personnes ignorées

Si les préoccupations actuelles touchant la question des inégalités se formulaient entièrement en termes politiques, un tel penchant au repli sur soi serait compréhensible. Après tout, les citoyens des pays pauvres ne peuvent pas voter dans les pays riches. Mais la rhétorique du débat sur les inégalités dans les pays riches trahit une certitude morale qui ignore sans remords des milliards de personnes qui vivent ailleurs, dans une situation bien moins enviable.
Il ne faut pas oublier que même après une période de stagnation, la classe moyenne des pays riches reste une classe supérieure dans une perspective mondiale. Seulement 15% de la population mondiale environ vit dans des économies développées. Pourtant, les pays avancés représentent encore plus de 40% de la consommation mondiale et de l'épuisement des ressources. Oui, des impôts plus élevés sur les riches paraissent logiques comme méthode de réduction des inégalités au sein d'un pays. Mais cela ne résoudra pas le problème de la grande pauvreté dans le monde en voie de développement.
Ni celui de recourir à la supériorité morale pour justifier les raisons qui font qu'une personne née en Occident bénéficie de si nombreux avantages. Oui, des institutions politiques et sociales saines sont le fondement de la croissance économique durable. En effet, elles sont la condition sine qua non de tous les cas de développement réussis. Mais la longue histoire du colonialisme d'exploitation de l'Europe rend difficile tout pronostic sur ce qu'auraient pu devenir les institutions asiatiques et africaines, dans un univers parallèle où les Européens ne seraient venus que pour faire du commerce et pas pour conquérir.

Libre circulation 

De nombreux problèmes de politique générale sont déformés quand on les considère d'un point de vue qui se concentre uniquement sur les inégalités nationales tout en ignorant les inégalités mondiales. La thèse marxiste de Thomas Piketty selon laquelle le capitalisme est en train d'échouer parce que les inégalités nationales sont en hausse en est l'exact contrepied. Quand on considère à égalité tous les citoyens du monde, les choses ont un aspect bien différent. En particulier, les mêmes forces de mondialisation qui ont contribué à la stagnation des salaires de la classe moyenne dans les pays riches ont sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté ailleurs dans le monde.
Par de nombreuses mesures, les inégalités mondiales ont été réduites de manière significative au cours des trois dernières décennies, ce qui implique que le capitalisme a réussi de façon spectaculaire. Le capitalisme a peut-être érodé les rentes dont jouit la main d'œuvre dans les pays avancés en vertu du lieu où ils sont nés. Mais cela a aidé encore davantage les vrais salariés à revenu moyen du monde en Asie et dans les marchés émergents.
Permettre une circulation plus libre des personnes à travers les frontières pourrait égaliser les chances encore plus rapidement que le commerce, mais la résistance est féroce. Les partis politiques anti-immigration ont gagné beaucoup de terrain dans des pays comme la France et le Royaume-Uni et représentent aussi une tendance importante dans de nombreux autres pays.
Naturellement les millions de désespérés qui vivent dans des zones de guerre et dans des États en déroute n'ont pas d'autre choix que de demander asile dans les pays riches, quels que soient les risques. Les guerres en Syrie, en Érythrée, en Libye et au Mali ont eu de très lourdes conséquences sur l'actuelle déferlante de réfugiés qui cherchent à gagner l'Europe. Même si ces pays parviennent à se stabiliser, l'instabilité dans d'autres régions a de très fortes chances de les remplacer.

Grandes migrations

Les pressions économiques sont un autre moteur puissant des migrations. La main d'œuvre des pays pauvres se félicite de pouvoir travailler dans les pays avancés, même pour les salaires les plus bas. Malheureusement, la plupart des débats actuels dans les pays riches, à gauche comme à droite, tournent autour de la manière d'empêcher les autres d'entrer. Cela est peut-être pragmatique, mais certainement pas défendable moralement.
Et la pression migratoire va augmenter considérablement si le réchauffement climatique se déroule selon les prévisions standards des climatologues. Comme les régions équatoriales deviennent trop chaudes et trop arides pour maintenir leur agriculture, les températures en hausse dans le Nord vont rendre l'agriculture plus productive. Les modélisations du changement des conditions climatiques pourraient alors entraîner des migrations vers les pays riches, à des niveaux qui rendent triviale la crise actuelle de l'immigration, étant donné en particulier que les pays pauvres et les marchés émergents se situent pour la plupart près de l'équateur et sous les climats les plus vulnérables.
Avec une capacité et une tolérance déjà limitées en matière d'immigration dans la plupart des pays riches, il est difficile de voir comment parvenir pacifiquement à un nouvel équilibre dans la distribution de la population mondiale. Le ressentiment contre les économies avancées, responsables d'une part largement disproportionnée de la pollution et de la consommation mondiales en produits de base, pourrait déborder.
Alors que le monde devient plus riche, les inégalités vont inévitablement surgir comme un problème beaucoup plus important par rapport à la pauvreté, un point que j'ai soulevé le premier il y a plus de dix ans. Malheureusement pourtant, le débat sur les inégalités s'est concentré avec tant d'ardeur sur les inégalités, que le problème des inégalités mondiales, proportionnellement bien plus considérable, a été éclipsé. Cela est bien dommage, car il existe de nombreux moyens à mettre en œuvre pour que les pays riches fassent la différence. Ils peuvent fournir gratuitement de l'assistance médicale et de l'éducation en ligne, davantage d'aide au développement, des dépréciations de la dette, un accès au marché et une plus grande contribution à la sécurité mondiale. L'arrivée de boat people désespérés sur les rivages de l'Europe est un symptôme de leur incapacité à agir dans ce sens.
Par  Kenneth Rogoff, professeur d'économie à l'Université d'Harvard

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-133071-inegalites-immigration-et-hypocrisie-1119121.php?al4jwmUjfR5Ioy4O.99

jeudi, février 05, 2015

Le Conseil d'Etat siffle la fin de la récré ! Lignes directrices... Circulaire... ! Y'a rien à voir !


Dans un arrêt n° 383267, 383268, du 4 février 2015, la haute juridiction administrative française juge que la circulaire du ministre de l’intérieur du 28 novembre 2012 dite "Valls" ne peut pas être invoquée devant le juge administratif.


Par une circulaire du 28 novembre 2012, le ministre de l’intérieur, devenu Premier ministre depuis, a donné à ses services des instructions relatives aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, en particulier lorsqu’ils ne disposent d’aucun droit au séjour sur le fondement des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). 

Un contentieux sur un refus de titre de séjour opposé à un étranger en situation irrégulière a conduit le Conseil d’État à préciser la nature juridique de cette circulaire et à se prononcer sur la possibilité pour un requérant de s’en prévaloir devant le juge administratif.
La question posée impliquait de déterminer si cette circulaire était une simple circulaire ou si elle énonçait des « lignes directrices », qui fixent des critères que l’administration doit examiner lorsqu’elle se prononce sur une demande. 

D’après une jurisprudence constante (CE 22 février 1999, Epoux Useyin, n° 197243), une simple circulaire n’a aucune valeur normative et ne peut donc être invoquée devant le juge. En revanche, si elle contient des « lignes directrices », un requérant peut alors s’en prévaloir devant le juge. Dans ce cas, s’il remplit les critères énoncés par ces « lignes directrices », l’administration ne peut lui opposer un refus à moins qu’elle ne dispose d’un motif légitime pour s’en écarter.

Le tribunal administratif de Paris (18 décembre 2013, n° 1306958avait cependant jugé que la circulaire dite Valls du 28 novembre 2012, pouvait être invoquée devant le juge administratif dès lors qu’elle contenait des lignes directrices. Le tribunal avait bien sûr confirmé que les orientations données par la circulaire du ministre de l’intérieur du 28 novembre 2012 ne constituaient pas des règles impératives. Mais il a considéré qu’il appartient aux préfets, saisis de demandes de régularisation présentées sur le fondement des dispositions législatives prévues à cet effet, de les examiner en prenant en considération les lignes directrices définies par cette circulaire. Le Tribunal a ainsi retenu que les intéressés pouvaient s’en prévaloir devant le juge administratif. Il a néanmoins précisé que, dès lors que ce ne sont pas des règles impératives, les préfets peuvent toujours s’écarter des orientations ainsi fixées lorsque la situation particulière du demandeur le justifie ou pour des motifs d’intérêt général.

Par des arrêts n° 14PA00226 et 14PA00358 du 4 juin 2014, la Cour administrative d’appel de Paris, réunie en formation plénière, avait confirmé cette position. La 1ère Chambre de la même Cour a même eu l'occasion de confirmer cette position le 23 janvier 2015 (req. n° 14PA01311) en rejetant l'appel du préfet et cela malgré la présentation des conclusions contraires du rapporteur public du conseil d'Etat (preuve de résistance ! ou pied de nez ?).

Malgré cette position, partagée également par d’autres cours (Bordeaux-n°14BX00347 du 9 juillet 2014, Nancy-n°13NC02240 du 13 novembre 2014), la Cour administrative d’appel de Lyon, également réunie en formation plénière, a pris une décision différente le 4 octobre 2014.

La Cour de Lyon considère qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ; les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus reposant sur des règles spécifiques ;  l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public qui est une exigence de valeur constitutionnelle ; il ne saurait exister un droit à la régularisation.
Pour la Cour de Lyon, s’il est loisible à l’administration, même lorsqu’elle ne dispose pas du pouvoir réglementaire, de définir dans un texte général, sans édicter aucune condition nouvelle ni méconnaître l’objet de la législation, les orientations qu’elle entend appliquer pour traiter, sans renoncer à exercer son pouvoir d’appréciation, les demandes individuelles qui lui sont faites au titre de son pouvoir discrétionnaire, et que ces orientations peuvent lui être opposées, il en va différemment lorsque, statuant en matière  de régularisation des étrangers, elle exerce un pouvoir à titre gracieux et exceptionnel  au regard de la situation particulière qui lui est soumise ; dans ce cas, l’administré ne peut pas utilement invoquer les prévisions de ce texte, lequel ne saurait lui conférer aucun droit.

Dans ces conditions, la Cour de Lyon estime que si en se référant aux situations administratives décrites dans un texte non réglementaire émanant de l’administration, le demandeur peut être regardé comme invoquant le principe d’égalité, il résulte du caractère gracieux et exceptionnel d’une mesure de régularisation  que le préfet ne saurait être tenu de faire droit à une demande de régularisation ou de régulariser la situation administrative d’un étranger ; pour contester l’appréciation faite par l’administration de sa situation particulière, l’étranger ne peut donc utilement faire valoir ni qu’il est placé dans une situation administrative semblable à celle d’un autre étranger ni que sa situation entrerait dans les prévisions d’une circulaire.


Dans un arrêt n° 383267, 383268, du 4 février 2015, le Conseil d’Etat fixe la jurisprudence en précisent que la décision de la Cour administrative d’appel de Paris du 4 juin 2014 était entaché d’erreur de droit. Le Conseil d’État juge que les indications figurant dans la circulaire du ministre de l’intérieur du 28 novembre 2012, relative aux conditions d’examen des demandes de régularisation des ressortissants étrangers en situation irrégulière, constituent de simples « orientations générales » : par conséquent, cette circulaire ne peut être invoquée devant le juge administratif.

La Haute juridiction administrative rappelle qu’un étranger en situation irrégulière ne dispose pas, à quelque titre que ce soit, d’un droit impliquant qu’un titre de séjour lui soit obligatoirement délivré mais que le préfet peut toujours, à titre gracieux et exceptionnel, le lui accorder pour régulariser sa situation. Le Conseil d’État en déduit que la circulaire du 28 novembre 2012 contient de simples « orientations générales » qui ne sont destinées qu’à éclairer les préfets dans l’exercice de ce pouvoir de régularisation et qu’il n’est donc pas possible d’invoquer devant le juge.

La solution choisie par le Conseil d’Etat peut juridiquement se comprendre, tant les solutions du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel de Paris nous paraissaient audacieuses. Mais on ne peut que regretter que la haute juridiction administrative n’ait pas saisi l’occasion de confirmer une position qui était conforme au principe de la sécurité juridique qui est particulièrement nécessaire dans cette matière imprégnée de considérations humaines. En effet, la Circulaire dite Valls avait suscité beaucoup d'attente et d’espoir chez les étrangers qui sont pour la plupart insérés dans la société française. Il était prévu que cette circulaire soit la prémisse d’une modification législative et
 un débat au Parlement, il est vrai sans cesse repoussé, qui devait initialement avoir lieu en début 2013 !

Pour le reste, dès lors que ladite circulaire effectue des rappels de positions jurisprudentielles antérieurs, il conviendra désormais de motiver davantage les demandes d’admissions au séjour et muscler l’argumentaire devant le juge administratif en s'inspirant de son contenu. 

La tâche incombera également au législateur -s’il est courageux- de veiller au respect du principe de sécurité juridique, nécessaire dans nos sociétés démocratiques (voir F. Grech, "Le principe de sécurité juridique dans l’ordre constitutionnel français"). Si la sécurité juridique est une impérieuse nécessité de l’ordre communautaire (Dossier : Le principe de sécurité juridique, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 11 du décembre 2001), s’il est aussi nécessaire pour l’entreprise ("L’entreprise et la sécurité juridique", Colloque du 21 novembre 2014  au Conseil d’Etat), pourquoi ne le serait-elle pas pour le particulier, fut-il étranger, mais humain d’abord ?

Le principe de sécurité juridique constitue un principe général du droit communautaire depuis un arrêt Bosch du 6 avril 1962 de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). En France, le Conseil constitutionnel reconnaît, dans une décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, une valeur constitutionnelle à l’objectif « d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ». Il réaffirme ce principe à l’occasion de l’examen de la loi de finances pour 2006 : dans sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, il censure une disposition relative au plafonnement global des avantages fiscaux, en raison de son excessive complexité, qu’aucun motif d’intérêt général ne suffit à justifier. Le Conseil d’Etat, qui en fait déjà application dans l’exercice de ses fonctions consultatives, consacre le principe de sécurité juridique dans une décision du 24 mars 2006 Société KPMG et autres. En matière judiciaire, la Cour de cassation prend également en compte les exigences découlant de ce principe.

Rappelons pour mémoire que la sécurité juridique est ainsi définie par le Conseil d’Etat dans son rapport public 2006 : « Le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles ». Le Conseil d’Etat, rappelle également que la sécurité juridique « constitue l’un des fondements de l’Etat de droit ».

C’est précisément ce qui est demandé au législateur et au pouvoir réglementaire également en droit des étrangers et particulièrement quant à l’application des dispositions de l’article L. 313-14 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : la clarté ! notamment des décisions administratives surtout de police générale. 

Or, celle-ci passe par la mise en place de critères d’appréciation définis qui évitent l’arbitraire. Même lorsque le pouvoir de l’administration est discrétionnaire, ce qui est le cas en droit des étrangers, l’obligation de légalité doit permettre d’éviter l’arbitraire que combat nécessairement, toute société démocratique. Pour ce faire, il convient d’imposer à l’administration, au moins lorsqu’elle édicte des mesures de police, de mieux motiver ses décisions (voir sur ce point : Loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations et Loi n°79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et aux relations avec l’administration). 

Le pouvoir discrétionnaire aboutit à une non soumission partielle au droit et une absence de contrôle juridictionnel approfondi. Précisément, parce qu'en matière de contrôle de la légalité du pouvoir discrétionnaire de l'administration, le contrôle du juge administratif est limité à l'erreur manifeste d'appréciation. Or dans ce cas, il est nécessaire que la décision de l'autorité comporte suffisamment de précisions dans les motivations, pour permettre un contrôle effectif de la légalité de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire afin d'éviter l'arbitraire. Plus la motivation est vague et plus le contrôle juridictionnel est rendu difficile. 

C'est là une piste de réflexion, car en pratique cela est rarement suivi par le juge administratif. En effet, la jurisprudence valide le plus souvent, la légalité de décisions pourtant stéréotypées des préfectures, dès lors qu’elles sont un tant soit peu personnalisées (parfois la simple mention du nom et de la date de naissance suffisent ! Le juge administratif a donc, de facto, renoncé à son pouvoir de contrôle ! 

C’est en cela que le citoyen, et l'avocat en droit des étrangers en particulier, ne peuvent se satisfaire de la décision du Conseil d’Etat. Une occasion a été manquée. Si la circulaire devenait opposable à l’administration, celle-ci aurait alors été obligée de motiver davantage ses décisions et justifier des raisons pour lesquelles elle se serait écarté des règles de conduite ou des critères prévus par la circulaire. Il aurait pu s'agir d’un renforcement des garanties offertes aux administrés, fut-ils étrangers, même sans titre de séjour. 

Cela aurait d'ailleurs été conforme à l'évolution souhaitée ou souhaitable prônée par la haute juridiction administrative dans son rapport annuel de 2013 intitulé, "Le droit souple". Il est vrai que comme souvent, le droit des étrangers est considéré comme un "droit à part", puisqu'il s'agit, comme on le dit très souvent... d'"un contentieux de masse" ! 

Tout reste à faire ou presque...

Nous pensons néanmoins que si le Conseil d'Etat a sifflé la fin de la récré, il invite tout de même l'étranger à utiliser les critères de ladite circulaire pour "soutenir que la décision du préfet, compte tenu de l’ensemble des éléments de sa situation personnelle, serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation".

En cela, la décision du Conseil d'Etat présente une note d'espoir qui réjouit le juriste. 


A retenir :

Désormais, pour le Conseil d’état : « en dehors des cas où il satisfait aux conditions fixées par la loi, ou par un engagement international, pour la délivrance d’un titre de séjour, un étranger ne saurait se prévaloir d’un droit à l’obtention d’un tel titre ; que s’il peut, à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir formé contre une décision préfectorale refusant de régulariser sa situation par la délivrance d’un titre de séjour, soutenir que la décision du préfet, compte tenu de l’ensemble des éléments de sa situation personnelleserait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, il ne peut utilement se prévaloir des orientations générales que le ministre de l’Intérieur a pu adresser aux préfets pour les éclairer dans la mise en œuvre de leur pouvoir de régularisation ». 

Zia OLOUMI
Docteur en droit, Avocat
Février 2015

« Les avocats sont des gêneurs pour le système judiciaire 
car ils viennent constamment rappeler que le droit s'organise autour d'un énorme trou. »
Jean-Pierre Winter, psychanalyste, in Daniel Soulez-Larivière, L'avocature, Le Seuil, 1995 




mardi, janvier 06, 2015

Eloignement des étrangers et l'urgence : de la subtilité du choix de la forme collégiale du tribunal administratif ou juge unique

L'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) détermine les conditions dans lesquelles le tribunal administratif statue sur les recours formés contre certaines des décisions qui visent à procéder à l'éloignement d'un étranger du territoire français. Le paragraphe I de cet article dispose que l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire peut, dans les trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif d'annuler cette mesure ainsi que la décision relative au séjour, celle mentionnant le pays de destination et celle d'interdiction de retour qui l'accompagnent le cas échéant. Le tribunal administratif statue alors dans un délai de trois mois.

Toutefois, si l'étranger fait ensuite l'objet d'un placement en rétention ou d'une assignation à résidence en application de l'article L.561-2 du même code, le paragraphe I précise qu'il est alors statué selon la procédure prévue au III du même article. L'article L. 512-1, III du CESEDA prévoit que, lorsque l'étranger fait l'objet d'un placement en rétention ou d'une assignation à résidence, l'obligation de quitter le territoire (OQTF) dont il fait l'objet doit être contestée, dans les quarante-huit heures, devant un magistrat désigné qui statue dans les soixante-douze heures, à l'issue d'une audience publique qui se déroule sans conclusions du rapporteur public.

Selon l’article R. 776-18 du Code de justice administrative (CJA) : 

« La requête est présentée en un seul exemplaire. (…) Les décisions attaquées sont produites par l'administration. »

Il n’est donc pas nécessaire de fournir l’arrêté préfectoral, c’est le préfet qui devra le faire.

Selon l’article R. 776-19 du même code :

« Si, au moment de la notification d'une décision mentionnée à l'article R. 776-1, l'étranger est retenu par l'autorité administrative, sa requête peut valablement être déposée, dans le délai de recours de contentieux, auprès de ladite autorité administrative. Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, mention du dépôt est faite sur un registre ouvert à cet effet. Un récépissé indiquant la date et l'heure du dépôt est délivré au requérant. L'autorité qui a reçu la requête la transmet sans délai et par tous moyens au président du tribunal administratif. »

Il n’est donc pas nécessaire de saisir par télécopie le Tribunal administratif, l’étranger peut le faire directement en s’adressant aux agents du Centre de rétention administrative (CRA).

Selon une jurisprudence ancienne, si le recours a été remis à l'administration dans les délais, mais n'a pas été transmis en temps utile au greffe du tribunal administratif, il reste recevable (CE, 27 janv. 1992, n° 125409).

De même, si, dans le délai de recours contentieux, l'étranger manifeste devant le juge judiciaire sa volonté de déposer une requête contre la mesure de reconduite à la frontière, mais qu'il n'a pas été mis à même de le faire à l'issue de l'audience, la forclusion ne lui est pas opposable (CE, 19 juin 1998, n° 183002).

Il est donc nécessaire de vérifier les mentions figurant sur les ordonnances du juge des libertés et de la détention (JLD), si tel a été le cas.


Enfin, la procédure de l'article L. 512-1, III du CESEDA cesse de s'appliquer dès qu'il est mis fin à l'assignation [administrative et non judiciaire] ou à la rétention de l'étranger, « pour quelque raison que ce soit ». Cela voudrait dire que s’il s’agit d’une intervention du JLD cela est également possible, et pas seulement à l’initiative de l’administration. Aussi, dès que la rétention a pris fin, la procédure de droit commun prévue à l'article L. 512-1, I du CESEDA redevient applicable et le recours formé par l'étranger contre l'OQTF prise à son encontre (mais également de l’ensemble des décisions subséquentes) relève de la formation collégiale du tribunal administratif (CE, avis, 29 déc. 2014, n° 382898).