dimanche, novembre 14, 2010

Le tribunal administratif de Nice rappelle l’obligation de l’Etat en matière d’hébergement des demandeurs d’asile et condamne l’Etat même pour les Eurodacés

Le tribunal administratif de Nice rappelle l’obligation de l’Etat en matière d’hébergement des demandeurs d’asile
et condamne l’Etat pour n’avoir pas respecté des décisions de justice du mois de juillet dernier.

Par une série 10 ordonnances du 12 novembre 2010 (*), le Président du Tribunal administratif statuant en référé, a enjoint au Préfet du département des Alpes-Maritimes d’assurer l’hébergement de plusieurs familles de demandeurs d’asile dans un délai de 24 heures à compter de la notification des ordonnances (dès vendredi 12 novembre au soir) sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Le tribunal enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de communiquer, avant le 20 novembre 2010, la copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter ses ordonnances.

Par ailleurs, des décisions de juillet dernier du même tribunal (23 décisions rendues les 13, 15, 19 et 23 juillet) avaient déjà condamnées l’Etat à prendre en charge l’hébergement des demandeurs d’asile. L’Etat n’ayant pas exécuté ces décisions ou ayant mis fin prématurément à la prise en charge des intéressés, le tribunal a également prononcé la liquidation des astreintes qui avaient été ordonnées en juillet. Le taux d’astreinte prononcée à l’encontre de l’Etat par les précédentes ordonnances (100 euros par jour de retard) a été porté à 500 euros par jour en cas de non exécution des ordonnances de juillet 2010. 

Certaines familles font parties de celles qui ont été contraintes d’occuper l’immeuble situé au 1 rue George Clémenceau. Cet immeuble est occupé en désespoir de cause (**) par des demandeurs d’asile depuis le 4 novembre 2010. L’immeuble est géré par le Collectif Niçois de soutien aux Demandeurs d’asile (CNDA).

Le raisonnement juridique est simple :
L’Etat a une obligation d’assurer des conditions minimales d’accueil (dont le logement) à tout demandeur d’asile qui se trouve en France et dont la demande est instruite par les autorités française ou par un autre Etat, en tous cas tant qu’il est admis à séjourner en France ou que son transfert vers un autre Etat européen responsable de sa demande n’a pas eu lieu.
Le Conseil d’Etat avait eu l’occasion de rappeler que la privation de mesures prévues par la loi aux fins de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur leur demande est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté protégée (CE réf., 23 mars 2009, req. n° 325884, Ministre chargé de l'immigration c/ Gaghiev).
Selon le Conseil d’Etat, le droit fondamental d’asile (un droit constitutionnel) a pour corolaire le droit à des conditions minimales d’accueil qui comprennent le logement. Ce n’est donc pas sur le fondement du droit au logement opposable (DALO) que l’Etat doit garantir un logement aux demandeurs d’asile, mais bien sur le fondement du droit constitutionnel d’asile. En cela, la condition des étrangers demandeurs d’asile est différente de celles des autres étrangers sur le territoire ou même des nationaux.

En effet, l’article 13 de la Directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à l’accueil des demandeurs d’asile oblige les Etats membres à prendre « des mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d’assurer la subsistance des demandeurs ».
La notion de « conditions matérielles d’accueil » est définie par l’article 2 de la même Directive comme comprenant « le logement, la nourriture et l’habillement, fournis en nature ou sous forme d’allocation financière ou de bons, ainsi qu’une allocation journalière ».
Par ailleurs et en application des dispositions des articles L. 348-1 et suivants et R. 348-1 et suivants du Code de l’action sociale et des familles, les demandeurs d’asile peuvent être admis à l’aide sociale pour être accueillis dans les centres pour demandeurs d’asile, et que ceux qui ne bénéficient pas d’un niveau de ressources suffisant bénéficient d’une allocation mensuelle de subsistance [il s’agit de l’ATA, l’allocation temporaire d’attente, de 10,67 euros par jours : http://vosdroits.service-public.fr/F16118.xhtml]. Ils ont également vocation à bénéficier, outre du dispositif d’accueil d’urgence spécialisé pour demandeurs d’asile, qui a pour objet de les accueillir provisoirement dans des structures collectives ou dans des hôtels en attente d’un accueil en centre pour demandeurs d’asile, du dispositif général de veille sociale prévu par l’article L. 345-2 du Code de l’action sociale et des familles, lequel peut conduire à leur admission dans un centre d’hébergement d’urgence ou un centre d’hébergement et de réinsertion sociale.
Enfin, l’article 3 de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 s’applique « à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d’asile à la frontière ou sur le territoire d’un Etat membre tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d’asile, ainsi qu’aux membres de leur famille, s’ils sont couverts par cette demande d’asile conformément au droit national ». Or aucune disposition de cette directive ne prévoit d’exception pour les personnes susceptibles d’entrer dans le champ d’application du règlement CE 343/2003 du 18 février 2003 et de faire à ce titre l’objet d’une demande de réadmission vers l’Etat devant être regardé, en vertu de ce règlement, comme l’Etat responsable de la demande d’asile.
Dès lors, l’engagement d’une procédure de prise en charge par un autre Etat d’un demandeur d’asile postérieurement à son entrée sur le territoire est sans influence sur le droit de l’intéressé de bénéficier de conditions matérielles d’accueil décentes tant que cette prise en charge n’est pas devenue définitive.

 

(*) Avocat du Collectif et des familles : Maître Zia OLOUMI – Juge des référés du Tribunal administratif : Monsieur Norbert CALDERARO, Vice-président du Tribunal administratif de Nice.

(**) Chronique d’une occupation annoncée :

-          NICE Demandeurs d’asile : misère dans la ville du luxe et de la douceur de vivre (15 janvier 2010) : http://salades-nicoises.net/spip.php?breve635

-          A Nice, les demandeurs d’asile sans hébergement demandent un toit à la préfecture,  2 février 2010, http://www.millebabords.org/spip.php?article13278

-          Les demandeurs d’asile de Nice embarrassent les autorités, 30 août 2010, http://www.secours-catholique.org/actualite/les-demandeurs-d-asile-de-nice,7724.html

-          Immigration : demandeurs d’asile, le collectif ne lâche rien, Nice Matin du 21 octobre 2010 : http://www.nicematin.com/article/faits-divers/immigration-demandeurs-d%E2%80%99asile-le-collectif-ne-lache-rien

-          Nice centre : Un immeuble occupé par des demandeurs d'asile, 7 novembre 2010, http://www.hyperlocalnews.fr/articles/nice-centre-un-immeuble-occupe-par-des-demandeurs-d-asile/read/770

samedi, novembre 06, 2010

France : Les fichiers spécifiques à l'asile

Les fichiers spécifiques à l'asile en France


Ces fichiers sont particulièrement nombreux et peu protégés dans les faits.

Plusieurs fichiers ont été mis en place auprès de l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et de la CNDA (Cour nationale du droit d'asile). Ces fichiers ne peuvent en aucun cas être connectés au fichier AGDREF (système informatisé de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France mis en œuvre par le ministère chargé de l'immigration et prévu par les articles D 611-1 et suivants du Code des étrangers).


1) Dispositif français Eurodac


C'est une circulaire du 31 décembre 2002 qui a mis en place le dispositif français de collecte et transmission des empreintes digitales des demandeurs d'asile dans le cadre d'Eurodac. Dans la mesure où Eurodac est créé par un règlement, le nouveau dispositif est appliqué nationalement, à l'image du SIS (système d'information Schengen). Mais le dispositif Eurodac permet aussi la prise d'empreintes, il s'agit d'un relevé décadactylaire : ce sont les empreintes roulées de chaque doigt qui sont prises, plus les empreintes de contrôle (quatre doigts de chaque main simultanément + chaque pouce).

Le relevé est effectué par les préfectures, selon deux systèmes :
  • pour la majorité des préfectures, le relevé est réalisé au moyen d'une fiche dactyloscopique spéciale transmise par voie postale à la DLPAJ (Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du Ministère de l'intérieur), qui la transmet à son tour à l'unité centrale Eurodac ;
  • un système de bornes électroniques est mis en place dans certaines préfectures ; elles permettent de transmettre directement les empreintes à l'unité centrale (Circ. 31 déc. 2002, NOR : INTD8900371C).
2) Fichier d'automatisation des formalités administratives
Ce fichier a été créé par deux arrêtés du 5 novembre 1990, modifiés par arrêté du 26 septembre 1991 (Arr. 5 nov. 1990, NOR : MAEA9020411A mod. par Arr. 26 sept. 1991, NOR : MAEF9110026A : JO, 19 oct.Arr. 5 nov. 1990, NOR : MAEA9020412A mod. par Arr. 26 sept. 1991, NOR : MAEF9110026A : JO, 19 oct.).

Le fichier a été créé auprès de l'Ofpra et de la CRR (Commission de recours des réfugiés, devenue CNDA, Cour Nationale du droit d'asile)  un fichier destiné à l'automatisation des formalités administratives et à l'information des préfectures et du ministre de l'intérieur sur la situation des dossiers des demandeurs d'asile.

Ces fichiers, qui peuvent s'échanger leurs données, contiennent des informations portant sur :
  • l'identité du requérant (nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, situation de famille, nationalité, adresse) ;
  • sa situation administrative (nature des documents d'identité versés au dossier, date de dépôt de la demande) ;
  • la classification du dossier (identifiant, vitesse d'examen) ;
  • la décision sur la demande (nature et date).
Les destinataires des informations, en dehors de l'Ofpra et de la Cour nationale du droit d'asile sont, pour les décisions de rejet :
  • la préfecture du lieu de résidence ;
  • le ministre de l'intérieur ;
  • le service social d'aide aux migrants ;
  • les Assedic ;
  • la délégation française du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Le service télématique mis en place est destiné aux agents habilités par le préfet pour la délivrance des autorisations provisoires de séjour et le ministre de l'intérieur ou les fonctionnaires habilités de la DLPAJ ; il contient des informations sur les décisions de l'Ofpra et de la CNDA.


3) Fichier jurisprudentiel relatif au droit des réfugiés

Par arrêté du 22 novembre 1994 le ministère des affaires étrangères a mis en place un fichier dont l'objet est « d'améliorer le classement de la jurisprudence relative au droit des réfugiés, et de faciliter les travaux des membres de la commission » (Arr. 22 nov. 1994, NOR : MAEF9410044A : JO, 15 déc.).

Ce fichier, destiné à sélectionner des décisions de la Commission des recours des réfugiés (devenue Cour nationale du droit d'asile - CNDA) et du Conseil d'État, en qualité de juge de cassation en matière d'asile, est créé auprès du secrétariat de la CNDA.

Les catégories d'informations prévues à l'article 2 de l'arrêté recouvrent très exactement les données sensibles, puisqu'elles sont : l'identité, la situation familiale, la nationalité, l'origine ethnique, les opinions politiques, religieuses et philosophiques et l'appartenance syndicale. Ces données, particulièrement sensibles en temps normal, le sont d'autant plus s'agissant de demandeurs d'asile et de réfugiés qui courent des risques du fait de leurs activités politiques, de leur race ou de leur religion. La CNIL (Commission nationale informatique et libertés) avait pourtant insisté sur les risques liés à ces fichiers hautement sensibles, et demandé que des mesures de protection renforcées soient prises.

Les destinataires de ces informations particulièrement sensibles sont énumérés à l'article 3 de l'arrêté du 22 novembre 1994 : outre, le président et le secrétaire général de la CNDA, le directeur de l'Ofpra, sont également destinataires : les membres du centre d'information contentieuse de la CNDA et, sur demande écrite adressée au président de la CNDA, les praticiens du droit des réfugiés extérieurs à la juridiction (sans doute : les avocats et les juristes du droit des étrangers).


Malgré la présence d'informations sensibles, l'accès aux informations est direct et s'exerce auprès du président de la CNDA.


4) Fichier sociologique des personnes sollicitant le statut de réfugié


Ce fichier est destiné à « identifier les circonstances qui conduisent un étranger à demander à bénéficier de la Convention de Genève et les raisons pour lesquelles il est ou n'est pas reconnu réfugié » (Arr. 22 nov. 1994, NOR : MAEF9410044A : JO, 1er déc.).

Ce deuxième arrêté applique en fait (sans l'indiquer) les règles prévues dans le cadre de l'échange d'informations prévu par les accords de Schengen en matière d'asile, et de demandeurs d'asile. On rappellera que l'ensemble de ces règles a été mis en place avec un objectif de contrôle et de surveillance dans le cadre d'une coopération de nature policière.

Les catégories d'informations sont classiques : identité, situation familiale, niveau d'études, profession, motif principal de la décision, moyen principal du recours (ce qui laisserait supposer que ces moyens, généralement écartés par l'Ofpra et la CRR, donnent des indications intéressantes sur le parcours de l'étranger demandeur d'asile, même si elles sont généralement écartées comme inopérantes et douteuses).

Destinataires et droit d'accès Les destinataires des informations sont : le président de la CNDA, le directeur de l'Ofpra, le secrétaire général de la CNDA, le responsable du service des études.
Le droit d'accès est direct et s'exerce auprès du président de la CNDA.



5) Liste des demandeurs d'asile hébergés en Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile (CADA)


En application de l'article R. 351-6 du code du travail, l'OFII (office français de l'immigration et de l'intégration) communique, chaque mois, aux institutions gestionnaires chargées du service de l'allocation, la liste nominative des demandeurs d'asile pris en charge dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile. Un arrêté précise quelles sont les données transmises : nom, date et lieu de naissance, numéro Ofpra, adresse, nationalité, département du Cada, numéro AGDREF (fichier des étrangers). Les mêmes données (sauf nationalité et numéro Ofpra) sont appliquées à la liste mensuelle des demandeurs d'asile ayant refusé une offre de prise en charge en Cada. Enfin, ce sont les mêmes données qui figurent dans le fichier des décisions devenues définitives pendant le mois relatives aux demandes d'asile et à la protection subsidiaire, fichier transmis mensuellement par l'Ofpra aux gestionnaires chargés du service de l'allocation (Arr. 23 mars 2007, NOR : SOCN0710862A : JO, 6 avr.).