lundi, septembre 28, 2009

Pour une stratégie européenne cohérente sur l'immigration

La Croix, 27 septembre 2009

par Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, responsable pour la justice, la liberté, la sécurité


Le démantèlement de la « jungle » de Calais a une nouvelle fois mis en lumière le défi majeur des migrations et de l’asile en Europe, qui s’accompagne de tant de détresses individuelles et de difficultés pour les États membres confrontés à des flux qui ne cessent de s’amplifier.

Au-delà d’une opération qui relève de la responsabilité de la France et qui paraît s’être accomplie dans le respect de la dignité des migrants, nous devons répondre à une situation qui paraît inextricable depuis la fermeture du camp de Sangatte, il y a maintenant sept ans. Il faut être très clair. L’afflux massif de migrants dans la région de Calais n’est pas un problème franco-français. Il n’est pas uniquement un problème franco-britannique. Il s’agit d’un problème européen, auquel doivent répondre des solutions européennes.

Toute action à Calais n’aura donc d’efficacité que si elle s’insère dans une stratégie européenne cohérente, harmonisée et solidaire entre les États membres de l’Union. Cette stratégie, je l’ai proposée aux États membres depuis le mois de juin 2008. Elle a été consacrée par le Pacte européen pour l’immigration et l’asile signé par les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept durant la présidence française de l’Union européenne. Elle actionne (outre l’immigration régulière, qui n’est pas ici l’objet de mon propos) trois principaux leviers : l’asile, la lutte contre l’immigration irrégulière, le partenariat avec les pays d’origine et de transit des migrants.

Développer un esprit de solidarité

En ce qui concerne l’asile, je me bats pour que les États membres acceptent un alignement des conditions d’accueil, des procédures et du statut des réfugiés, afin de limiter au maximum l’errance en Europe des demandeurs d’asile, qui fait le jeu des passeurs. Je souhaite aussi que ma proposition de révision du règlement de Dublin puisse aboutir rapidement. Elle permettrait des accords entre des États membres pour une répartition plus équilibrée des demandeurs d’asile.

Cela éviterait l’asphyxie de certains États riverains de la Méditerranée, vers qui sont actuellement renvoyés comme premier pays d’accueil les demandeurs, alors que ces pays sont déjà submergés par les flux migratoires ! Cela éviterait aussi des abcès de fixation, comme à la frontière franco-britannique.

C’est aussi pour développer cet esprit de solidarité entre les États membres que nous avons lancé avant l’été le projet pilote de réinstallation intra-européenne des réfugiés présents à Malte. La France a donné l’exemple, en accueillant près de 100 réfugiés et en les faisant bénéficier d’un programme d’intégration exemplaire. Enfin, j’espère que dès 2010 le nouveau bureau d’appui européen sur l’asile, que j’ai proposé, pourra apporter son soutien aux États membres confrontés à des situations de crise.

Le chacun pour soi n’est plus une option

Tout en étant fidèle à son devoir d’asile, l’Union européenne doit dans le même temps unir ses efforts pour combattre l’immigration irrégulière. Cela nécessite une action déterminée et coordonnée contre les réseaux de passeurs transfrontaliers, qui exploitent de manière indigne les migrants.

C’est pourquoi j’ai proposé comme une priorité dans le futur programme de Stockholm, qui structurera pour les cinq ans à venir l’espace européen de justice, de liberté et de sécurité, le renforcement de la coopération policière pour démanteler ces réseaux criminels. Il est également indispensable d’améliorer la surveillance des frontières européennes, avec une montée en puissance opérationnelle et financière de notre agence Frontex. Je prépare des propositions en ce sens pour l’année prochaine.

Enfin, l’Union européenne doit mettre tout son poids dans la balance pour négocier des partenariats étroits avec les pays d’origine et de transit des migrants. Si les États membres ne sont pas capables de s’accorder sur les propositions équilibrées faites par la Commission, qui recueillent un large soutien du Parlement européen, il est à craindre que les pénibles événements de Calais ne se reproduisent sans fin, malgré tous les efforts déployés par le monde associatif et les autorités publiques.

Le chacun pour soi n’est plus une option. Les solutions nationales pour maîtriser et organiser les flux migratoires sont insuffisantes face à l’ampleur du problème, qui est un des défis majeurs du XXIe siècle. Seule l’Europe unie et solidaire peut faire face et montrer l’exemple au monde.

Immigration: l'épreuve des faits

L'express.fr,
Par Laurent Chabrun, publié le 14/12/2006 00:00 - mis à jour le 28/09/2009 11:55

A quelques semaines de son départ du ministère de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy n'allait pas manquer de vanter son bilan. Avec une baisse de l'immigration régulière de 2,6% points - une «rupture», souligne-t-on Place Beauvau - le candidat à l'élection présidentielle cherche à mettre en évidence son efficacité tout en se rappelant au bon souvenir des électeurs tentés par le vote Le Pen.

Au-delà de ces éventuels bénéfices politiques, l'initiative du patron de l'UMP rappelle que les candidats à la présidentielle ne pourront pas faire l'économie d'une réflexion de fond sur l'immigration qui s'impose comme l'un des enjeux du futur. Souvent instrumentalisé, voire caricaturé, le débat peut, pourtant, s'appuyer sur des propositions et des expériences concrètes dont les effets ont été évalués. L'Express passe en revue ces différentes solutions et leur efficacité.

1. Les limites des quotas

L'idée est lancée, le 12 janvier 2005, par Nicolas Sarkozy. Il s'agit, selon le patron de l'UMP, de fixer, par catégorie, le nombre de personnes admises à s'installer sur le territoire: «Nous subissons une immigration incontrôlable, parce que nous refusons de revendiquer une immigration voulue et assumée», clame-t-il. Mais au-delà des bénéfices politiques attendus, cette mesure est-elle efficace? Certainement pas, souligne Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et spécialiste reconnu de l'immigration, qui précise: «L'Italie et l'Espagne, qui ont choisi de recruter leurs travailleurs sur quotas, doivent organiser des régularisations à répétition de plus en plus massives.» Même situation aux Etats-Unis, remarque le chercheur, «où le quota pour des travailleurs non qualifiés est de 10 000 par an [...] et où l'immigration clandestine est évaluée à 10 millions de personnes.»

Si l'annonce d'une régularisation massive alimente immédiatement un flux d'immigrés vers le pays qui vient d'adopter cette mesure, l'ouverture de quotas produit les mêmes effets: un appel d'air. Les gouvernements dont on vante le système de gestion des flux migratoires n'échappent pas à ce piège. Ainsi, au Canada, où les entrées sont pourtant régulées par un système de points particulièrement élaboré, 200 000 sans-papiers sont actuellement recensés...

Enfin, le quota peut très vite se démoder: entre le moment où il est fixé et celui où il est appliqué, les besoins du marché du travail risquent d'avoir évolué. De plus, les candidats désirés ne répondent pas forcément «présent». En 1999, l'Allemagne a voulu recruter 20 000 informaticiens: ils ont préféré la Grande-Bretagne et les Etats-Unis et, quatre ans après, le quota n'était pas rempli. La politique des quotas a donc ses limites. Nicolas Sarkozy, lui-même, semble l'avoir mesuré. Il se borne, désormais, à évoquer une «immigration choisie».

2. L'impossible contrôle des frontières

L'actuel ministre de l'Intérieur aurait dû se méfier quand, le 9 septembre 2005, il avait réclamé à ses préfets «plus qu'une obligation de moyens, une obligation de résultats» et que 23 000 étrangers en situation irrégulière soient reconduits à la frontière en 2005. Or 19 841 «seulement» l'ont été. Un chiffre certes meilleur qu'en 2004 (15 660), mais pas tout à fait à la hauteur des annonces, volontaristes, du ministère.

Nicolas Sarkozy, comme d'autres avant lui, peut ainsi mesurer les difficultés d'une gestion «policière» de l'immigration. D'abord, le ministre de l'Intérieur doit composer avec la bonne ou mauvaise volonté des pays d'origine des clandestins. Ces derniers étant, le plus souvent, dépourvus de papiers d'identité, il est particulièrement difficile de les renvoyer chez eux, surtout si les autorités locales se refusent à les réadmettre.

Ensuite, le patron de la Place Beauvau doit s'incliner devant différents textes de protection des droits de l'homme - convention de Genève de 1951, droit pour l'immigré à la vie en famille - qui limitent ses possibilités d'action. Enfin, il doit prendre en compte une opinion publique parfois versatile, qui peut, comme dans l'affaire des expulsions des parents d'enfants scolarisés en France, prendre fait et cause pour les clandestins.

Ajoutons que, techniquement parlant, la sanctuarisation du territoire est, à l'heure de la mondialisation, impossible. «La plupart des clandestins n'arrivent pas cachés dans des camions ou par des sentiers de montagne. Ils débarquent, en avion, avec des visas touristiques et ne repartent pas», explique un policier.

La solution peut-elle venir de l'Europe? L'espace Schengen, cette «frontière» commune en vigueur depuis 1995, n'a pas démontré, pour l'heure en tout cas, son efficacité en la matière (voir L'Express du 19 octobre 2006). Ainsi, en novembre dernier, lors d'un conclave réunissant les huit pays du sud de l'Union européenne, Nicolas Sarkozy avait milité, seul, pour que les ministres présents se prononcent contre la régularisation massive des immigrés clandestins - une mesure qui venait d'être adoptée en Espagne par le Premier ministre José-Luis Zapatero... Ce dernier s'était, de son côté, battu pour une mise en commun des moyens policiers, douaniers et militaires afin de contenir l'immigration clandestine subsaharienne qui déferle sur les îles Canaries - 27 000 clandestins depuis le début de l'année... Et il n'a, sur cette question, reçu que le soutien de l'Italie, confrontée, il est vrai, au même problème: 16 000 immigrés ont été interceptés au large des côtes sud de la Péninsule pour l'année 2006.

3. Les mirages du codéveloppement

Ségolène Royal en a fait son principal argument, comme bien d'autres politiques. Un rééquilibrage des richesses entre le Nord et le Sud viendrait, en effet, à bout des flux migratoires, mais il ne semble pas s'annoncer pour demain.

Les accords, dits de codéveloppement, actuellement signés dissimulent bien souvent de simples opérations de rapatriement. A l'automne dernier, avant la visite de Nicolas Sarkozy, le Sénégal refusait de réadmettre sur son territoire plus de quelques dizaines de clandestins interceptés en France. L'accord, signé avec le ministre de l'Intérieur, en échange d'un accueil facilité pour les étudiants, les hommes d'affaires et quelques aides financières âprement négociées, a mis fin à ce blocage. Il permet ainsi à la France d'expulser selon ses besoins. L'Espagne a, de son côté, conclu un accord similaire. Elle a obtenu le droit d'expulser 3 000 Sénégalais dans leur pays d'origine.
Mais ce «donnant, donnant» ne fait pas l'unanimité. Le Parti socialiste sénégalais a annoncé que, s'il revenait au pouvoir, les accords signés avec la France et l'Espagne seraient dénoncés. D'autres, encore plus virulents, comme ces étudiants congolais, affirment que, avant de prôner le codéveloppement, «il faut commencer par promouvoir la démocratie et lutter contre la corruption des dirigeants africains et de leurs amis occidentaux» ...

Enfin, rien ne prouve que les pays du Sud aient besoin de contrôler leurs migrants, car ils engendrent un flux financier de 232 milliards de dollars, dont 167 reviennent à des pays en voie de développement. Cette manne financière est supérieure à l'ensemble des aides accordées...

4. Permettre le recrutement par les entreprises

C'est la méthode actuellement testée par les Allemands, qui facilitent ainsi l'embauche d'immigrés qualifiés. Ainsi, un étudiant étranger, qui trouve du travail en fin d'études, peut rester dans le pays, tandis que les scientifiques de haut niveau reçoivent immédiatement un statut de résident permanent. Ce système pourrait, pour de nombreux observateurs, être importé en France. Il permettrait une meilleure adéquation entre immigration et marché du travail. Les autorités n'interviendraient, alors, que pour vérifier la légalité de l'opération.

«L'Etat du XXIe siècle, écrit Patrick Weil dans La République et sa diversité (Seuil), devra réguler plutôt que de chercher à contrôler l'immigration. Il devra s'habituer à gérer les droits et les statuts des nationaux à l'étranger et d'étrangers sur son territoire.»

Enfin, la question de l'immigration est liée à celle de l'intégration. Il sera difficile de faire accepter à l'opinion publique une immigration nécessaire - même régulée - si elle continue à se concentrer dans certains quartiers «sensibles». La réflexion sur ce sujet commence donc par celle sur ces banlieues où nombre d'immigrés sont ghettoïsés.

Le programme Sarkozy

Le programme de Nicolas Sarkozy, dévoilé le 11 décembre dernier, s'articule en cinq points:

1) La nomination d'un ministre de l'Immigration placé à la tête de toutes les administrations chargées du dossier. Une proposition que le candidat devra rendre compatible avec un autre de ses engagements: limiter le nombre des ministres à 15.

2) L'adoption d'un pacte européen destiné à harmoniser les politiques des différents pays de l'Union.

3) La généralisation d'accords de gestion des flux d'immigration avec les pays d'origine.

4) La mise en place d'une politique de codéveloppement.

5) L'ouverture de négociations pour l'établissement d'un traité international dont l'application serait surveillée par une Agence mondiale des migrations.

Quels sont les besoins?

Le Centre d'analyse stratégique, organisme directement rattaché au Premier ministre, estime que le volume annuel des départs définitifs de l'emploi est passé de 450 000 en 2002 à plus de 600 000 en 2006 et avoisinera les 650 000 par an à partir de 2015. Selon les spécialistes, avec ces départs à la retraite, il pourrait y avoir en France, en 2050, «2 millions d'actifs de moins qu'en 2005». Ils estiment, par ailleurs, que quatre secteurs professionnels devraient, à terme, concentrer les demandes: l'agriculture, le bâtiment, l'hôtellerie-restauration et les services aux personnes. Ces projections conduisent à estimer le besoin annuel en immigrants à 110.000 personnes par an.

La France des immigrés

4,5 millions de personnes immigrées de plus de 18 ans résidaient en France métropolitaine en 2004. Elles représentaient, alors, 9,6% de la population du même âge. A titre de comparaison, les Etats-Unis comptaient, à cette même date, une proportion d'immigrés de 14,5%.
187 000 premiers titres de séjour ont été délivrés en 2005.
Plus de la moitié l'ont été pour des motifs familiaux. Et 7% seulement pour des raisons professionnelles.
500 000 clandestins seraient installés en France. Ils représentent environ 10% de l'immigration globale, pour 25% aux Etats-Unis.