mercredi, mai 30, 2007

Réforme du contentieux des étrangers : Rapport du CNB

La Commission Libertés et droits de l'homme du Conseil National des Barreaux Français (CNB), a présenté un rapport traitant des implications de la réforme du contentieux administratif des étrangers pour la profession d'avocat.

Au 1 er janvier 2007, un nouveau dispositif en matière de contentieux des étrangers est entré en vigueur en application de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 et du décret
n° 2006-1708 du 23 décembre 2006. La procédure de reconduite à la frontière et celle du contentieux du séjour des étrangers se trouvent profondément modifiées.

Ces changements, décidés sans concertation avec la profession, ont des conséquences sur l'activité des avocats et font naître des difficultés.

1) Le contentieux du séjour irrégulier des étrangers a connu de nombreuses réformes depuis la loi Pasqua du 9 septembre 1986.

Ces réformes ont rendu complexes, d'une part, la répartition des compétences entre les juridictions administratives et judiciaires pour connaître des recours contre les décisions administratives de reconduite à la frontière et, d'autre part, les procédures et délais selon lesquels ces recours pouvaient être exercés.

Très rapidement les tribunaux administratifs vont mettre en place les effectifs nécessaires afin de répondre aux différentes réformes. De même, les ordres d'avocats vont organiser des permanences pour assister les étrangers dans ce contentieux de l'urgence.

2) L'ordonnance du 2 novembre 1945 sur l'entrée et le séjour des étrangers a été codifiée à droit constant par l' ordonnance du 24 novembre 2004 créant la partie législative du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

3) Une nouvelle réforme.

Dès le début de l'année 2005, le ministre de l'Intérieur, se fondant sur les travaux de la Commission Parlementaire d'évaluation de la loi de novembre 2003, a jugé nécessaire de modifier une nouvelle fois la législation relative aux étrangers et en particulier celle sur l'éloignement.

Cette Commission avait relevé l'utilité d'une réforme s'agissant notamment d'un contentieux « de masse » en pleine « explosion » avec une augmentation de 50 % du contentieux de la reconduite à la frontière en 2004 aboutissant, selon le Conseil d'Etat, à paralyser la juridiction administrative.

La réforme aboutissant au vote de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 a été établie sans quasiment aucune concertation. Ni les organisations d'assistance aux étrangers, ni les associations humanitaires, pas plus que la représentation nationale de la profession d'avocat ou les ordres ou syndicats d'avocats n'ont été consultés.

Les organisations syndicales de magistrats ont pu émettre des observations. A ce titre, le Syndicat de la Justice Administrative a été très critique sur tous les aspects du projet et a même organisé une journée de grève, fait sans précédent.

4) Une nouvelle source de contentieux : l'obligation de quitter le territoire français.

La loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, entrée en vigueur le 1 er janvier 2007, crée une obligation de quitter le territoire français (OQTF). La partie réglementaire du CESEDA a été modifiée par le décret n° 2006-1378 du 14 novembre 2006.

L'article L 511-1 I du CESEDA prévoit un nouveau mécanisme qui associe la décision préfectorale relative au séjour avec la décision d'éloignement qui en est la conséquence, l'obligation de quitter le territoire, (qui remplace l'invitation à quitter le territoire) à laquelle est associée une décision déterminant le pays de destination.

Ainsi, l'autorité administrative qui refuse soit la délivrance d'un titre de séjour à un étranger, soit son renouvellement, soit lui retire son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour, peut assortir sa décision d'une obligation de quitter le territoire français.

L'étranger dispose d'un délai d'un mois à compter de sa notification pour quitter la France. Passé ce délai, cette obligation peut être exécutée d'office par l'administration.

Le II de l'article L 511-1 du CESEDA maintient le régime de la reconduite à la frontière dans des cas qu'il énumère et en le dissociant de la question du titre de séjour.

Les articles L 512-1 à L 512-4 du CESEDA définissent les modalités et procédures des différents recours pour lesquels l'étranger est assisté d'un avocat – il peut demander au président du tribunal administratif qu'un avocat soit désigné d'office – et peut bénéficier de l'aide juridictionnelle.

5) Les difficultés rencontrées par les avocats dans le cadre de cette nouvelle réforme.

Ces difficultés sont soit propres à l'exercice individuel, soit liées à l'organisation des barreaux pour les permanences, soit communes aux deux.

Elles tiennent :

  • au délai de saisine du juge administratif ;
  • aux contours incertains, en l'état, de la possibilité de saisir la juridiction d'un recours sommaire (soit par le requérant, soit par l'avocat) complété par un mémoire ampliatif ;
  • à l'absence de mise en demeure car « les délais donnés aux parties pour fournir leurs observations doivent être observés, faute de quoi il peut être passé outre sans mise en demeure » (article 775-6 du CJA) ;
  • au fait que le court délai de trois mois dans lequel la juridiction doit statuer n'est assorti d'aucune sanction en cas de non respect ;
  • à l'enchevêtrement des compétences territoriales si l'étranger est interpellé avant l'examen de son recours et placé en rétention administrative dans le ressort d'un autre tribunal que celui chargé de juger son recours contre l'OQTF ;
  • au développement d'une jurisprudence qui considère qu'un audiencement du contentieux au fond à moins de trois mois prive du caractère d'urgence une procédure en référé qui est faite sur le séjour et l'OQTF ;
  • au fait que l'étranger puisse demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle « au plus tard lors de l'introduction de sa requête en annulation » (article L 512-2 du CESEDA), ce qui implique que, par dérogation, la demande d'aide juridictionnelle ne serait plus recevable après l'enregistrement de la requête ;
  • à l'augmentation de la masse du contentieux devant les tribunaux administratifs sans qu'ils bénéficient des moyens humains (magistrats et greffiers) et matériels pour mener à bien leur mission.

Quelques avantages pour le justiciable et l'avocat doivent être relevés dans le cadre de cette nouvelle procédure :

  • l'accusé de réception des recours annonce la date de clôture et la date et l'heure d'audience ;
  • les juridictions saisies des recours liés au contentieux du séjour devront statuer dans les trois mois, ce qui est une avancée considérable au regard des délais habituellement pratiqués dans ce contentieux,


    En ce qui concerne la rémunération de l'avocat au titre de l'aide juridictionnelle, la profession a obtenu que la Chancellerie maintienne à 20 UV son intervention pour la requête unique contre le refus de séjour, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination.

    En tout état de cause, les ordres doivent se préoccuper de la conjonction de la désignation au titre de l'aide juridictionnelle et du temps offert à l'avocat pour préparer la défense du requérant.

    6) Si l'on doit se féliciter de la réforme en ce qu'elle place enfin ce contentieux dans les limites d'un délai raisonnable pour l'examen des recours, les avocats qui traitent uniquement - ou pour partie ce contentieux - doivent relever le défi en faisant évoluer leur exercice professionnel qui va être bouleversé.

    Il nous appartient de modifier nos pratiques individuelles et collectives.

    Les ordres doivent très rapidement prendre contact avec les chefs de juridictions administratives et les greffiers en chef d'une part, les bureaux d'aide juridictionnelle d'autre part.

    Il nous faut mettre en place des modes de fonctionnement avec les tribunaux administratifs notamment s'agissant des permanences.

    Avec le BAJ, il faut revoir les méthodes de constitution des dossiers, de désignation des avocats et prendre en compte le critère d'urgence.

    Il faut aussi que les ordres relevant de la même juridiction administrative ou/et du même centre de rétention, mais aussi ceux qui sont périphériques coordonnent leurs actions, tant il est vrai que ces procédures sont complexes, éclatées géographiquement, et relevant du contentieux de l'urgence.

    Plus généralement, la profession doit réfléchir aux propositions qu'elle pourra formuler à la fin de cette année, dans le cadre d'un premier bilan, pour améliorer cette réforme.

Source : CNB

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