dimanche, avril 29, 2007

Les politiques de pénalisation de l'immigration clandestine

Par Gatien-Hugo RIPOSSEAU, Université de Poitiers, Extraits de "Pénalisation et dépénalisation (1970 - 2005)"

Source : http://www.memoireonline.com/03/07/380/m_penalisation-depenalisation-1970-200512.html

La logique sécuritaire qui a progressé, inégalement mais constamment, dans le droit et dans les esprits depuis un quart de siècle a, selon une loi historique bien connue, frappé sélectivement voire prioritairement les étrangers (A). De ce point de vue, la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 (B) constitue moins une révolution qu'une aggravation, certes de grande ampleur, d'un « ciblage » récurrent (LOCHAK D., La logique législative de « ciblage » des étrangers, Après demain, journal mensuel de la documentation politique, n° 469, p.9.). Les législations antérieures en la matière, illustrent bien ce mouvement croissant de pénalisation de la lutte contre l'immigration clandestine.

A - Bref rappel des politiques récentes de lutte contre l'immigration clandestine et du contexte antérieur à la loi du 26 novembre 2003

La loi du 24 août 1993, dite « loi PASQUA », renforce le dispositif répressif visant à éloigner du territoire les étrangers en situation irrégulière et restreint la liste des catégories d'étrangers protégées contre une mesure d'éloignement du territoire. Outre les modifications qu'elle apporte au Code civil, au Code de la sécurité sociale et au Code de l'aide sociale, cette loi touche également les dispositions du Code pénal notamment, en ce qui concerne la limitation des immunités contre l'interdiction du territoire accordées aux étrangers ayant des attaches en France.

La loi du 24 avril 1997, dite « loi DEBRE », tout en assouplissant certaines dispositions de la « loi PASQUA », renforce la dimension répressive de la législation : confiscation du passeport des étrangers en situation irrégulière, nouvelles possibilités de retrait du titre de séjour, suppression de garanties de procédure comme la commission du séjour, etc.

La dernière grande réforme en date en matière d'immigration remontait à la « loi CHEVENEMENT », dite aussi loi Reseda (loi relative à l'entrée, au séjour des étrangers en France et au droit d'asile), du 11 mai 1998. Critiquée par les défenseurs des droits des étrangers comme s'inscrivant trop nettement dans la continuité de la politique précédente, marquée par les lois PASQUA de 1993 et 1997, mais apportant d'incontestables assouplissements à la législation antérieure, la loi avait été présentée comme un texte d'équilibre, susceptible de recueillir un consensus, et destiné par conséquent à durer. La modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 n'avait en effet pas été annoncée immédiatement par le gouvernement de l'alternance, de sorte que l'on concevait la pérennité de la loi de 1998 telle qu'elle avait été promise à cette date. C'est en octobre 2002 qu'il a été pour la première fois question de réformer la législation existante, dans un sens libéral au demeurant, afin d'assouplir le régime de la « double peine ». C'est ensuite en février 2003 seulement que la presse a dévoilé l'existence d'un avant projet de loi destiné à réformer, cette fois dans le sens d'une sévérité accrue, l'ordonnance de 1945. Cette volonté de lutter plus durement contre l'immigration clandestine est la résultante du contexte sécuritaire qui a initié cette réforme du droit des étrangers, réforme qui avait d'ailleurs déjà fait irruption dans les débats sur la loi pour la sécurité intérieure. « Mettre fin à l'incapacité de l'Etat à maîtriser les flux migratoires », tel est le premier objectif de la réforme mis en avant par son promoteur, Nicolas SARKOZY. Cela suppose de renforcer le dispositif répressif, mais aussi de traquer la fraude partout où elle peut surgir, donc de multiplier les contrôles et les fichiers et d'aggraver les sanctions.

B - La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration : une pénalisation accrue de l'immigration clandestine

Les dispositions de cette nouvelle loi contribuent au durcissement du droit relatif aux étrangers par une impressionnante pénalisation qui touche nombre de domaines fondamentaux de ce droit issu de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Cette loi, entrée en vigueur le 29 novembre 2003, a suscité de vives controverses au sein des milieux associatifs en charge des problèmes liés à l'immigration. En effet, de nombreuses associations dénoncent le caractère sévère et stigmatisant de certaines dispositions promues par la loi (V. Assemblée nationale. Compte rendu du conseil des ministres du 30 avril 2003 sur la maîtrise de l'immigration et le séjour des étrangers en France, http://www.assemblee-nationale.fr/ (site consulté fin janvier 2005).

Dans le cadre de la maîtrise des flux migratoires et de la lutte contre les filières de clandestins, la loi autorise tout d'abord un allongement des délais de rétention. Pour couper court à toute contestation, le gouvernement justifie sa politique en évoquant son alignement sur la législation des autres pays européens, et prône l'efficacité d'une telle mesure pour améliorer le taux de reconduite.

La loi prévoit également la création d'un fichier d'empreintes digitales et de photos établi à partir des demandes de visas, et permettant l'identification des étrangers qui, entrés légalement sur le territoire français, s'y seraient maintenus clandestinement.

Le renforcement des peines en cas d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers est aussi une orientation de la législation nouvelle. La loi prévoit pour les personnes physiques, une peine de 5 ans d'emprisonnement, mais aussi la possibilité de prononcer une interdiction de séjour de 5 ans (au lieu de 3), de suspendre le permis de conduire pour 5 ans (10 en cas de récidive) au lieu de 3. Ces peines sont aggravées si l'infraction est commise en bande organisée. La loi instaure en outre des restrictions à l'accès à la nationalité française et de nouvelles hypothèses du retrait du titre de séjour.

La loi du 26 novembre 2003 se distingue également par la création du délit de mariage de complaisance, puni de 5 ans de prison et de 15 000 € d'amende (10 ans et 750 000 € si l'infraction est commise en bande organisée). « L'utilité pratique de cette nouvelle incrimination nouvelle est douteuse , puisque un mariage de complaisance encourt l'annulation et que l'administration peut, dans ce cas, refuser un titre de séjour : elle a surtout une fonction d'intimidation » ( LOCHAK D., La loi sur la maîtrise de l'immigration : analyse critique, Regards sur l'actualité (La Documentation française), n°299, mars 2004, pp.22-23). On relève par ailleurs que le nouveau délit est sélectif puisqu'il ne vise pas ceux qui détournent l'institution du mariage dans un autre but que celui de l'obtention d'un titre de séjour, par exemple, dans le but pour un fonctionnaire, d'obtenir sa mutation.

La loi prévoit également des sanctions plus sévères en cas d'emploi d'un étranger démuni d'autorisation de travail: les peines encourues au titre de ce type de comportement, passe de 3 ans d'emprisonnement et 4500 € d'amende, à 5 ans d'emprisonnement et 15 000 € d'amende. Ces peines sont aussi aggravées si l'infraction est commise en bande organisée.

L'article 14 bis de la loi relative à la maîtrise de l'immigration introduit une nouveauté : la poursuite et la sanction des salariés étrangers sans autorisation de travail est désormais envisageable. Ces derniers encourent désormais 3750 € d'amende assortis d'une interdiction du territoire de trois ans. Auparavant, l'article L.314-4 du Code du travail imposait bien à un étranger l'obligation de détenir une autorisation de travail pour se livrer à une activité salariée ; mais, le seul fait d'en être dépourvu n'entraînait aucune sanction pénale, le droit allant même jusqu'à accorder au travailleur irrégulier une protection légale sur le plan civil. En cas de contrôle, seul l'employeur encourait de véritables sanctions pénales. Le législateur considérait le salarié comme une victime et non comme le co-auteur d'une infraction (même avec consentement). Le droit pénal avait même érigé la protection de cette main-d'oeuvre en situation précaire contre l'exploitation, en véritable priorité avec la criminalisation des conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité humaine, à l'occasion de la réforme du Code pénal de 1994. Cette nouvelle législation marque donc une réorientation de la politique criminelle en la matière en considérant désormais cette catégorie de personnes comme des délinquants, alors qu'elle les voyait jadis comme des victimes dignes d'une protection particulière de la part du droit. Le nouveau dispositif vise maintenant deux objectifs : d'une part, garantir l'application des normes sociales minimales, et d'autre part, inciter à la dénonciation de la situation illégale par le salarié. Ce deuxième objectif se démarque de par son utopie : il est peu probable, voire même illogique, d'envisager que des travailleurs clandestins, ne disposant d'aucune autre source de revenu que celle qui est issue de leur activité salariée illégale, puissent dénoncer leur employeur qui leur apporte le seul moyen d'espérer subsister en France. Pour de nombreuses associations comme G.I.S.T.I., « c'est toute la logique sur laquelle repose le Code du travail qui se voit mise en cause ; c'est le rapport de domination inhérent à la relation de travail qui se voit nié ; c'est la réalité concrète du monde du travail qui est ignorée » (G.I.S.T.I., La pénalisation des étrangers dépourvus d'autorisation de travail. http://www.gisti.org/ (site consulté en mai 2005). Cette association insiste également sur la dimension discriminatoire flagrante de l'article, en ce qui ne s'attaque qu'aux étrangers en infraction relativement à la législation du travail, et se désintéresse volontairement du cas des salariés français non déclarés. Il apparaît que le législateur se trompe de cible en pénalisant des salariés en situation de faiblesse face à leur employeur : il punit injustement ces personnes en les précarisant d'avantage.

La loi nouvelle, enrichit le droit pénal de dispositions permettant de lutter plus efficacement contre les organisations mafieuses qui profitent de la précarité liée à l'immigration clandestine, mais apparaît quelque peu surfaite en ce qui concerne la pénalisation des étrangers en situation irrégulière. Où est la logique, lorsque le législateur dans la cadre de la lutte contre le ces bandes organisées, pénalise les victimes de ces réseaux qui se trouvent déjà dans une situation de profonde précarité ?

Toutes ces initiatives des pouvoirs publics révèlent en réalité la volonté de lutter contre un phénomène qui engendre la peur et contribue lui aussi à la montée du sentiment d'insécurité. La loi du 26 novembre 2003 semble ainsi répondre aux exigences de maîtrise de l'immigration qui résultent de la récente montée des extrémismes politiques à laquelle le gouvernement s'est vu contraint de répondre par le recours toujours plus massif au droit répressif. Ce droit répressif apparaît aujourd'hui plus comme une arme politique, que comme un moyen de régulation des conduites individuelles susceptibles de porter gravement atteinte aux règles sociales élémentaires.

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