vendredi, mars 24, 2006

La maîtrise des flux migratoires, aux dépens de l'intégration

DANS SON RAPPORT annuel, la Cour des comptes exerce un droit de suite sur ses recommandations formulées, en novembre 2004, sur « l'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'immigration ». Un rapport spécial dans lequel elle dressait un constat pour le moins alarmiste : la Cour y décrivait une « situation de crise » qui n'est pas le produit de l'immigration mais « le résultat du traitement de l'immigration ». « L'Etat, insistait-elle, se limite à superposer des dispositifs, avec des allers-retours en matière d'accès et de séjour, en laissant l'intégration se faire d'elle-même. »

Réduction des délais d'instruction des demandes d'asile, renforcement de l'efficacité des contrôles, développement de la capacité des centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), généralisation du contrat d'accueil et d'intégration (CAI), création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances : quinze mois plus tard, la Cour prend acte de « nombreuses avancées ». Mais ces progrès sont encore loin, à ses yeux, de se traduire par une réorientation claire et franche de la politique d'immigration et d'intégration qu'elle appelait de ses voeux fin 2004. « L'attention continue, portée depuis cinquante ans aux conditions d'accès et de séjour, reste prédominante, observe-t-elle. La politique nationale d'accès et de séjour met avant tout l'accent sur la lutte contre l'immigration irrégulière ainsi que sur la lutte contre le détournement des procédures. »

« AUCUNE AVANCÉE SIGNIFICATIVE »

La France, estime l'institution, manque encore d'une politique claire d'accueil des migrants : l'existence ou non d'un besoin d'élargir l'immigration de travail et l'opportunité, de ce fait, d'avoir recours à des dispositifs pour adapter l'immigration aux besoins fait encore débat, observe la Cour, qui plaidait, en novembre 2004, pour que la France « accueille, voire attire les personnes nécessaires dans certaines branches ou certains métiers », notamment dans le bâtiment, la restauration, les hôpitaux et les services aux personnes.

Certes, la Cour se félicite de la généralisation acquise du CAI et de la mise en place bien avancée d'un réseau de points d'accueil confié à la nouvelle Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (Anaem). Elle déplore néanmoins que cette nouvelle structure, née de la fusion de l'Office des migrations internationales (OMI) et du service social d'aide aux émigrants (SSAE), ait donné « une priorité absolue » à la généralisation du CAI. Et la Cour d'insister : « Au-delà de la généralisation du CAI, la réflexion n'a pas été suffisamment engagée sur la réalité des besoins des nouveaux immigrants tels qu'ils peuvent être constatés. C'est pourtant à partir de là que l'adaptation des dispositifs devrait être affinée. »

Autre reproche : en matière d'égalité des chances, « au-delà de la proclamation des grands principes , les moyens mis en oeuvre ne sont pas actuellement à la hauteur des enjeux ». « Aucune avancée significative n'a encore eu lieu en matière de scolarisation et d'apprentissage de la langue, de logement et d'emploi », souligne la Cour.

Dans ces trois domaines « déterminants de l'intégration », la Cour juge « préoccupants » les écarts qui demeurent entre les besoins et les moyens mis en oeuvre. Les magistrats déplorent, en particulier, qu'aucune différenciation ne soit encore faite entre les immigrants et les personnes issues de l'immigration. Aussi, à leurs yeux, l'application du droit commun ne doit pas être exclusive de mesures spécifiques, au moins pour certaines populations concernées. Or, se désolent-ils, la politique d'intégration continue de privilégier des dispositifs de droit commun.

« Faute que soient identifiées les populations appelant des mesures spécifiques, et qu'ainsi puissent être dégagés des moyens particuliers pour les aider », l'intégration des populations déjà installées n'est toujours « pas réellement traitée », s'alarme une nouvelle fois la Cour. De fait, observe-t-elle, « la priorité donnée à la maîtrise des flux migratoires et à l'accueil des nouveaux arrivants [continue à faire] passer au second plan » la question de l'intégration.

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