vendredi, novembre 18, 2005

Dix procédures d'expulsion ont été lancées contre des participants aux violences

Le ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy a annoncé, mardi 15 novembre à l'Assemblée nationale, que "dix procédures [d'expulsion] ont été engagées" contre des étrangers ayant participé aux violences urbaines. Il avait demandé la semaine dernière aux préfets d'engager des procédures d'expulsion d'étrangers qui auraient participé aux émeutes depuis le 27 octobre, "dans tous les cas où la loi le permet".

Ces expulsions sont rendues possibles par la loi en cas de "menace grave pour l'ordre public", et ne font pas partie de la législation sur l'état d'urgence. Cependant, la loi protège certaines catégories d'étrangers vivant en France : les mineurs, les personnes arrivées avant l'âge de 13 ans, et celles qui ont de forts liens familiaux avec la France.

"Il ne s'agit pas de faire du chiffre, c'est une question de principe", avait expliqué samedi M. Sarkozy, refusant de donner une estimation du nombre d'expulsions. Le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé, avait reconnu lundi que "très peu de personnes" seraient concernées par ces mesures.

L'annonce de Nicolas Sarkozy a suscité de vives critiques des associations de défense des droits de l'homme, unanimes à dénoncer "une application de la double peine". Le Conseil d'Etat a rejeté samedi une requête en référé de SOS-Racisme demandant la suspension de cette décision.

Les arrêtés d'expulsion, qui peuvent être pris par le ministre de l'intérieur ou les préfets, sont susceptibles de recours devant le tribunal administratif, puis le Conseil d'Etat. Si poser un recours ne suspend pas l'exécution de la décision, une décision cassant l'expulsion permet de revenir en France, ce qui aurait un effet dévastateur pour le gouvernement.

Autre article :

En outre les préfets pourront-ils « expulser sans délai » les jeunes étrangers - ils sont environ 120, en majorité en situation régulière - interpellés depuis le début des violences urbaines, comme le leur a demandé Nicolas Sarkozy, mercredi 9 novembre ?

Tout étranger majeur se trouvant en France peut être expulsé, qu'il soit en situation régulière ou non, par arrêté du préfet ou du ministre de l'intérieur, si sa présence sur le territoire français constitue une « menace grave à l'ordre public ». Il s'agit de la seule condition de fond. La loi du 26 novembre 2003 a supprimé une autre condition : celle d'avoir été définitivement condamné à une peine au moins égale à un an d'emprisonnement ferme.

Les étrangers que M. Sarkozy entend faire expulser sont susceptibles de faire l'objet d'une procédure judiciaire. S'ils étaient condamnés, leur expulsion devrait intervenir après leur peine, ce qui s'apparenterait à une double peine.

ABSENCE DE MOYENS

L'administration devra motiver sa décision de les expulser. Or la loi du 23 novembre 2003 a renforcé la protection contre l'expulsion de certaines catégories d'étrangers ayant des attaches familiales particulièrement fortes en France, notamment ceux arrivés en France avant l'âge de 13 ans.

Cette protection ne peut être remise en cause que lorsque le comportement de l'intéressé est de nature à « porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat », lié à des activités à caractère terroriste ou « constitue des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

L'administration pourra certes considérer que mettre le feu à une voiture constitue une menace à l'ordre public. « Mais il lui sera difficile de faire admettre au juge administratif, qui contrôle ce type de décision, qu'un tel comportement se rattache à l'une des hypothèses remettant en cause la protection contre l'expulsion », relève Danièle Lochak, professeur de droit et membre du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti).

Les préfets peuvent aussi, pour éloigner des personnes, prononcer des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF). Cependant, cette mesure administrative sanctionnant le défaut de régularité du séjour ne pourrait s'appliquer qu'aux rares jeunes en situation irrégulière interpellés.

Pour sa part, SOS-Racisme a annoncé, jeudi 10 novembre, avoir saisi le Conseil d'Etat pour qu'il statue sur la décision de M. Sarkozy de demander l'expulsion de ces étrangers.

Le volontarisme affiché par le ministre de l'intérieur bute aussi sur l'absence de moyens dont dispose l'Etat pour appliquer ses propres décisions. En pleine explosion, le contentieux des étrangers représente désormais le quart des requêtes enregistrées par les tribunaux administratifs.

La moitié des recours (environ 16 500) concernent les reconduites à la frontière, qui forment elles-mêmes la majorité des mesures d'éloignement (64 200 arrêtés de reconduite administrative, 5 400 interdictions judiciaires du territoire, 300 mesures d'expulsion comptabilisées en 2004) : ce contentieux a augmenté de 50 % entre 2003 et 2004, et encore de 21 % de juin 2004 à juin 2005.

Sur les 64 000 arrêtés de reconduite à la frontière, seuls 20 % ont été exécutés. Pour ceux envoyés par voie postale, soit la moitié, le taux descend à... 1 %. En outre, 18 % des décisions de reconduite et 14 % des expulsions, sont annulées par les tribunaux.

Dans les dossiers d'éloignement, les juges administratifs ont du mal à obtenir du ministère de l'intérieur qu'il vienne se défendre dans la procédure. « Les préfectures ne prennent pas le temps de réexaminer la situation des personnes, dont certaines sont devenues par exemple parents d'enfants français, explique Sabine Saint-Germain, présidente de l'Union syndicale des magistrats administratifs (USMA). Le système, pour une bonne part, tourne à vide. »

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