jeudi, juillet 07, 2005

L'échec scolaire en trompe-l'oeil des enfants d'immigrés

Les enfants d'immigrés s'en sortent mieux à l'école qu'on ne le croit. Si on compare leurs parcours scolaires à ceux des élèves de parents français et de même milieu social, ils sont statistiquement plus nombreux à préparer un baccalauréat général. Ce constat, qui va à l'encontre des idées reçues, est le fruit d'une étude du ministère de l'éducation nationale, à paraître à la rentrée dans la revue Education et formation , et qui porte sur la situation scolaire, en 2002, d'un panel de 16 701 élèves entrés en sixième en 1995.

A première vue, l'orientation scolaire des élèves issus de l'immigration apparaît défavorable par rapport à celle de leurs camarades nés de parents français. Seulement 27 % d'entre eux préparent un baccalauréat général contre 40 % des enfants issus de familles non immigrées et 48 % des enfants de familles mixtes.

Inversement, ils sont plus nombreux (55 % contre 40 % des enfants de parents français) dans les filières technologiques et professionnelles. Une orientation par défaut qui, la plupart du temps, ne correspond pas à leurs souhaits initiaux.


PLUS FORTE AMBITION


Mais cette peinture en trompe-l'oeil ne prend pas en compte la situation socioprofessionnelle des familles, un des déterminants majeurs de la réussite scolaire. Or les enfants d'immigrés sont plus souvent que les autres issus de milieux défavorisés : ainsi, dans l'étude, les trois quarts d'entre eux appartiennent à une famille dont la personne de référence est ouvrière, employée de services ou inactive, ce qui n'est le cas que pour un tiers des jeunes dont aucun des parents n'est immigré.

Si on veut bien prendre en compte ces données, la réalité s'inverse à situations sociales et familiales comparables. Ainsi, dans le cas d'une famille de deux enfants dont le père est ouvrier qualifié et la mère inactive (tous deux diplômés d'un CAP), les élèves dont les parents sont maghrébins ont 26,6 % de chances d'entrer dans un lycée général contre 20,7 % pour les enfants nés de parents français. Ce pourcentage grimpe à 37,6 % pour ceux qui sont originaires d'Asie du Sud-Est. En revanche, les chances sont comparables entre les élèves originaires d'Afrique noire et ceux de parents français. Et elles s'écroulent à 12,7 % pour les enfants de parents turcs.

Pour Jean-Paul Caille, statisticien à la direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'éducation nationale et auteur de l'étude, la conclusion s'impose : "A situation sociale et familiale comparable, les enfants d'immigrés ont des chances au moins égales à celles des autres élèves de préparer un baccalauréat général et présentent un risque moins élevé de sortie précoce du système éducatif que les autres élèves."

Le rôle des parents immigrés est pour beaucoup dans les meilleures orientations scolaires de leurs enfants. Non pas qu'ils soient très actifs au sein de l'école, mais ils en attendent beaucoup et leurs enfants intériorisent ces ambitions familiales. Venus de pays étrangers pour trouver une vie meilleure, ils semblent croire davantage en l'école comme outil de promotion sociale. "Les parents français de mêmes milieux socioprofessionnels ont souvent connu l'échec sco laire, contrairement aux parents issus de l'immigration qui ont davantage souffert d'une offre de formation insuffisante dans leur pays", analyse M. Caille.

Revers de la médaille, les enfants d'immigrés habités d'une plus forte ambition se retrouvent déçus quand leur orientation ne correspond pas à leurs attentes et expriment plus fréquemment "un sentiment d'injustice" . Le tiers d'entre eux estiment que le conseil de classe, qui décide de l'orientation des élèves en fin de troisième, a été "injuste" à leur égard contre moins d'un quart pour les autres.


"PRÉOCCUPATION FINANCIÈRE"


Mais cette déception n'annihile pas leurs ambitions scolaires et professionnelles, qui demeurent plus fortes que celles de leurs camarades d'origine française. "Les trois quarts des lycéens professionnels d'origine immigrée souhaitent entreprendre des études supérieures" , contre seulement 65 % des jeunes issus de familles mixtes et 62 % des jeunes de familles non immigrées.

La plupart souhaitent s'orienter dans des filières sélectives courtes (brevet de technicien supérieur). "À caractéristiques sociodémographiques comparables, avoir des parents immigrés constitue, après l'origine sociale de l'élève, le déterminant le plus fort du souhait de poursuite d'études supérieures" , note M. Caille. Avec, là encore, une exception pour les élèves d'origine turque.

Volonté de gagner de l'argent et rejet de la condition ouvrière caractérisent les ambitions professionnelles des jeunes issus de l'immigration. Ils sont plus nombreux à mettre en avant l'impératif de "bien gagner sa vie" grâce à leur futur métier : 73 % invoquent cet objectif contre 65 % des jeunes de parents non immigrés. "Cette plus forte préoccupation financière des enfants d'immigrés peut s'interpréter comme le signe d'une volonté d'améliorer des conditions matérielles d'existence en moyenne moins favorables que celles des autres jeunes", souligne M. Caille.

Le rejet de la profession de leurs parents va dans le même sens. Quand leur père est ouvrier qualifié, la moitié des fils d'immigrés ­contre seulement le tiers des autres jeunes ­ déclarent "ne vouloir absolument pas faire la même chose" . Ce rejet s'exprime avec autant de force chez les filles d'immigrés dont la mère est ouvrière ou employée de services. Cette volonté de mobilité sociale constitue "un levier puissant" pour les ambitions d'études et professionnelles qu'expriment ces jeunes.

Peu attirés par les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, de l'alimentation et du service aux particuliers, leurs projets professionnels sont marqués "par une attirance plus grande vers les métiers commerciaux et administratifs". Les fils d'immigrés sont deux fois plus nombreux que les autres à envisager une profession dans ces deux domaines, qui symbolisent à la fois une promesse de profits et d'élévation sociale.

Martine Laronche

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