samedi, juillet 30, 2005

Le droit au développement humain et durable et le droit international

Le droit au développement humain et durable et le droit international
par Guillermo Garcia

Source : CADTM, 4 juin 2004

A partir des décolonisations afro-asiatiques des années 1950-60 et de la reconnaissance consécutive de nombreux nouveaux états, s’est formée dans le cadre des Nations-Unies, la conception d’un développement beaucoup plus représentatif des intérêts des pays « sous-développés » face au modèle dominant d’industrialisation et de mondialisation économique capitaliste. Ce développement alternatif, fort marqué également par un caractère économiciste, a évolué en un modèle de développement centré principalement sur l’être humain et les groupes dans lesquels il vit et se développe. Ce développement se base également sur l’universalité, l’interdépendance et l’indivisibilité de tous les droits humains y compris les droits environnementaux, et plus particulièrement sur les droits et intérêts des plus vulnérables et défavorisés.

Le droit au développement au niveau individuel se base sur le droit de chaque être humain de développer au maximum ses facultés afin de pouvoir jouir pleinement tous les droits humains et libertés fondamentales. Ce droit exige donc la création des conditions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles permettant à tous le plein développement de leurs capacités. Au niveau social, le développement consisterait en un processus d’amélioration constante du bien-être et de la qualité de vie de tous permettant la pleine jouissance de tous les droits humains pour tous et particulièrement pour les plus vulnérables et défavorisés. Ce droit au développement est prévu par la Déclaration sur le droit au développement, adoptée par la Résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 4 décembre 1986 qui en donne la définition suivante :

“un droit humain inaliénable par lequel tous les êtres humains et tous les peuples ont le droit de participer dans un développement économique, social, culturel et politique qui permet la réalisation pleine de tous les droits humains et libertés fondamentales, et à bénéficier de ce développement”

Le droit au développement implique aussi le droit à une vie digne et donc il comprend l’ensemble des droits interprétés et appliqués de manière complémentaire et non contradictoire, de sorte qu’ils génèrent une synergie, c’est à dire, que l’interprétation et l’application des différents droits humains doit faire de sorte qu’ils soient interdépendants et se renforcent mutuellement. Ce afin de garantir le maximum de bien-être humain et de rendre possible la dignité pour tous sans discrimination et non seulement pour quelques privilégiés.

Ce droit au développement représente une revendication par les individus et les peuples les plus pauvres et sous-développés face aux plus riches et industrialisés. Le précèdent le plus récent a été la formulation dans les années 1960-70 de la revendication d’un Nouvel Ordre Economique International (NOEI) |1| , pour un échange économique et commercial plus équitable entre les pays développés et en développement. L’impossibilité d’établir le Nouvel Ordre Economique tel que les pays en développement le demandaient, explique que ceux-ci considèrent le système commercial et financier actuel comme la manière de perpétuer leur dépendance et subordination par rapport aux anciens Etats coloniaux. L’exigence d’un autre ordre économique international plus favorable à leur intérêts et aux droits humains continue donc d’être pleinement justifié et actuel. Ce droit au développement concerne également certains groupes minoritaires traditionnellement marginalisés et exclus de la part des groupes dominants dans beaucoup de pays.

Avec la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, qui a eu lieu à Rio de Janeiro en juin 1992, le droit au développement acquiert une nouvelle dimension, son caractère durable, dont la signification consiste à remarquer que le développement doit assurer non seulement les besoins et le bien-être des générations actuelles, mais aussi ceux des générations à venir et si c’est possible leur amélioration. L’adoption d’une Déclaration de Principes et la formulation d’une série de propositions et d’initiatives connues comme l’Agenda 21 ont été faites pour réorienter l’actuel processus de dégradation de l’environnement à l’échelle planétaire, raison pour laquelle nous devons exiger une utilisation rationnelle et non abusive des ressources naturelles. Dans ce sens, le droit au développement durable cherche á exprimer la compatibilité exigée entre le respect de l’environnement et l’exigence des peuples de parvenir à la pleine reconnaissance et à l’application effective de tous les droits humains fondamentaux sans discrimination.

Cette vision a été confirmée au cours de conférences diplomatiques universelles postérieures convoquées par Nations Unies au cours de la dernière décennie dans plusieurs villes et pays du monde (Vienne, Copenhague, Le Caire, Pékin, Istanbul, entre autres). Ces réunions avaient pour but de traiter les différents aspects du développement, tels que reconnus par les résolutions annuelles successives de l’Assemblée Générale des Nations Unies concernant les droits humains en ce compris le droit au développement .

Lors des conférences mondiales convoquées par les Nations Unies en 2002 concernant le financement du développement à Monterrey au Mexique et le développement durable à Johannesburg, en Afrique du Sud, les grands obstacles auxquels doit se confronter l’application des principes et normes relatifs au développement humain durable ont été à nouveau signalés. À ce sujet, par exemple, nous pouvons remarquer le cas du Protocole de Kyoto concernant le changement climatique, particulièrement en ce qui concerne l’application du principe de responsabilité commun, mais différencié, selon la capacité économique et le degré de développement industriel de chaque Etat.

On doit mentionner aussi les Objectifs de Développement du Millénaire, adoptés au cours du Sommet du Millénaire des Nations Unies qui a eu lieu à New York en septembre 2000. Les dirigeants de la planète (189 Etats y ont participé) ont établi une série d’objectifs à atteindre dans des délais déterminés. L’évolution vers leur réalisation étant mesurable. Des rapports réguliers à ce propos devront être élaborés dans tous les pays en développement avec la participation et collaboration entre les gouvernements, la société civile, le secteur privé, les institutions financières internationales et d’autres acteurs impliqués, avec l’aide et l’assistance technique des Nations Unies, de telle sorte que les progressions et les reculs vers les objectifs établis puissent être fixés. Les objectifs mentionnés se centrent notamment sur la lutte contre la pauvreté, la famine, les maladies endémiques, l’analphabétisme, la dégradation de l’environnement et les discriminations faites aux femmes.

La reconnaissance du droit au développement à échelle universelle exige, en particulier pour les Etats et les personnes les plus riches, le devoir non seulement de ne pas faire obstacle au processus de développement des peuples et des individus les plus pauvres, mais aussi de coopérer, d’aider et de promouvoir d’une manière active un semblable processus de développement. Le devoir de coopération constitue la base des relations internationales, même s’il n’a pas encore réussi à acquérir un caractère clairement contraignant du fait de l’absence d’une autorité universelle qui aurait pour fonction d’exercer cette contrainte en cas de violation des normes.

À l’heure actuelle, il n’existe aucune organisation international ou multilatéral qui possède la même légitimité universelle que l’Assemblée Générale des Nations Unies non seulement parce qu’elle est reconnue par Charte des Nations Unies, mais aussi parce que elle constitue le forum de débat pour des problèmes universels où les pays en développement y bénéficient d’une représentativité sur la base d’ « un pays, une voix » pour voter et adopter des décisions, recommandations ou des résolutions. Une telle représentativité n’existe pas dans d’autres organisations comme l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), la Banque Mondiale (BM) et le Fonds Monétaire International (FMI) où les pays les plus riches possèdent le plus grand nombre de voix. Donc dans ces dernières organisations les pays en développement et leurs intérêts ne sont pas du tout dûment représentés et protégés.

La Charte des Nations Unies est le traité international qui constitue les Nations Unies et codifie les principes fondamentaux des relations internationales. Les dispositions de la Charte des Nations Unies relatives aux objectifs de l’Organisation et les obligations de ses Etats membres au sujet de la coopération internationale (Préambule, article 1, paragraphe 3, et articles 55 et 56) ont un contenu normatif fort qui se rapporte du contenu et des objectifs du droit au développement. Nous pouvons donc considérer que la coopération internationale fait partie du contenu de ce droit étant donné qu’il s’agit d’une condition nécessaire afin de parvenir à son application et réalisation. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en tant que résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies comme la Déclaration sur le Droit au Développement, est aussi étroitement liée au droit au développement étant donné que l’effectivité des droits humains inclus dans ces déclarations fait partie aussi du contenu du droit au développement. Le caractère contraignant que selon beaucoup d’auteurs le droit coutumier lui accorde est similaire à celle d’un traité international. L’article 25, paragraphe 1 de cette Déclaration affirme :

“Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien ?être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux, ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de pertes de ses moyens de subsistance, par suite de circonstances indépendantes de sa volonté”

et l’article 28 :

“Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet”

Les Pactes Internationaux des Droits Humains, le Pacte International des Droits Economiques, Sociaux et Culturels et le Pacte International des Droits Civils et Politiques de 1966 sont aussi de textes normatifs étroitement liés au droit au développement étant donné qu’y figurent une grande partie des droits humains qui constituent le contenu du droit au développement. Ces pactes sont des traités internationaux qui comportent un caractère obligatoire pour les états signataires qui représentent la majorité des états existants aujourd’hui.

L’article 2 tant du Pacte International des Droits Economiques, Sociaux et Culturels que du Pacte International des Droits Civils et Politiques oblige les Etats signataires à agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de leurs ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives et de donner effet aux droits reconnus.

Cela montre le degré de compromis acquis par les Etats signataires afin d’appliquer et réaliser le droit au développement puisque ce droit intègre l’ensemble des droits humains inclus dans les pactes qu’on vient de signaler.

En définitive, nous devons remarquer la nécessité d’une plus grande volonté politique de la part des Etats qui continuent à être les principaux sujets de droit international, et surtout des Etats des pays les plus riches, afin de pouvoir avancer, pour transformer ces compromis en normes juridiques. L’effectivité des droits humains, en ce compris le droit au développement dans un monde où la marchandisation est au centre de tous les rapports sociaux implique de surmonter de nombreux obstacles. Il faut porter une responsabilité croissante sur les entreprises privées, en particulier les transnationales et les grandes banques privées, ainsi que les institutions de la finance et du commerce international (FMI, BM et OMC), pour les obliger à respecter les droits humains du fait de leur très grand pouvoir économique et des énormes pressions qu’elles exercent sur le pouvoir politique ainsi que des ressources humaines et de connaissances très importantes dont elles disposent. Un emploi décent et des ressources naturelles limitées doivent représenter une limite à la maximisation des profits.

L’application du droit au développement humain et durable dépend de la volonté politique et doit concerner les gouvernements, les fonctionnaires et le secteur privé des banques et entreprises mais il faut savoir que cela ne se fera que moyennant la prise de conscience et les mobilisations citoyennes à travers le monde. A la reconnaissance juridique formelle des droits humains, il faut ajouter les mobilisations pour parvenir à leur effectivité.

notes articles:

|1| Résolution 3201 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, 1er mai 1974.

jeudi, juillet 07, 2005

L'échec scolaire en trompe-l'oeil des enfants d'immigrés

Les enfants d'immigrés s'en sortent mieux à l'école qu'on ne le croit. Si on compare leurs parcours scolaires à ceux des élèves de parents français et de même milieu social, ils sont statistiquement plus nombreux à préparer un baccalauréat général. Ce constat, qui va à l'encontre des idées reçues, est le fruit d'une étude du ministère de l'éducation nationale, à paraître à la rentrée dans la revue Education et formation , et qui porte sur la situation scolaire, en 2002, d'un panel de 16 701 élèves entrés en sixième en 1995.

A première vue, l'orientation scolaire des élèves issus de l'immigration apparaît défavorable par rapport à celle de leurs camarades nés de parents français. Seulement 27 % d'entre eux préparent un baccalauréat général contre 40 % des enfants issus de familles non immigrées et 48 % des enfants de familles mixtes.

Inversement, ils sont plus nombreux (55 % contre 40 % des enfants de parents français) dans les filières technologiques et professionnelles. Une orientation par défaut qui, la plupart du temps, ne correspond pas à leurs souhaits initiaux.


PLUS FORTE AMBITION


Mais cette peinture en trompe-l'oeil ne prend pas en compte la situation socioprofessionnelle des familles, un des déterminants majeurs de la réussite scolaire. Or les enfants d'immigrés sont plus souvent que les autres issus de milieux défavorisés : ainsi, dans l'étude, les trois quarts d'entre eux appartiennent à une famille dont la personne de référence est ouvrière, employée de services ou inactive, ce qui n'est le cas que pour un tiers des jeunes dont aucun des parents n'est immigré.

Si on veut bien prendre en compte ces données, la réalité s'inverse à situations sociales et familiales comparables. Ainsi, dans le cas d'une famille de deux enfants dont le père est ouvrier qualifié et la mère inactive (tous deux diplômés d'un CAP), les élèves dont les parents sont maghrébins ont 26,6 % de chances d'entrer dans un lycée général contre 20,7 % pour les enfants nés de parents français. Ce pourcentage grimpe à 37,6 % pour ceux qui sont originaires d'Asie du Sud-Est. En revanche, les chances sont comparables entre les élèves originaires d'Afrique noire et ceux de parents français. Et elles s'écroulent à 12,7 % pour les enfants de parents turcs.

Pour Jean-Paul Caille, statisticien à la direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'éducation nationale et auteur de l'étude, la conclusion s'impose : "A situation sociale et familiale comparable, les enfants d'immigrés ont des chances au moins égales à celles des autres élèves de préparer un baccalauréat général et présentent un risque moins élevé de sortie précoce du système éducatif que les autres élèves."

Le rôle des parents immigrés est pour beaucoup dans les meilleures orientations scolaires de leurs enfants. Non pas qu'ils soient très actifs au sein de l'école, mais ils en attendent beaucoup et leurs enfants intériorisent ces ambitions familiales. Venus de pays étrangers pour trouver une vie meilleure, ils semblent croire davantage en l'école comme outil de promotion sociale. "Les parents français de mêmes milieux socioprofessionnels ont souvent connu l'échec sco laire, contrairement aux parents issus de l'immigration qui ont davantage souffert d'une offre de formation insuffisante dans leur pays", analyse M. Caille.

Revers de la médaille, les enfants d'immigrés habités d'une plus forte ambition se retrouvent déçus quand leur orientation ne correspond pas à leurs attentes et expriment plus fréquemment "un sentiment d'injustice" . Le tiers d'entre eux estiment que le conseil de classe, qui décide de l'orientation des élèves en fin de troisième, a été "injuste" à leur égard contre moins d'un quart pour les autres.


"PRÉOCCUPATION FINANCIÈRE"


Mais cette déception n'annihile pas leurs ambitions scolaires et professionnelles, qui demeurent plus fortes que celles de leurs camarades d'origine française. "Les trois quarts des lycéens professionnels d'origine immigrée souhaitent entreprendre des études supérieures" , contre seulement 65 % des jeunes issus de familles mixtes et 62 % des jeunes de familles non immigrées.

La plupart souhaitent s'orienter dans des filières sélectives courtes (brevet de technicien supérieur). "À caractéristiques sociodémographiques comparables, avoir des parents immigrés constitue, après l'origine sociale de l'élève, le déterminant le plus fort du souhait de poursuite d'études supérieures" , note M. Caille. Avec, là encore, une exception pour les élèves d'origine turque.

Volonté de gagner de l'argent et rejet de la condition ouvrière caractérisent les ambitions professionnelles des jeunes issus de l'immigration. Ils sont plus nombreux à mettre en avant l'impératif de "bien gagner sa vie" grâce à leur futur métier : 73 % invoquent cet objectif contre 65 % des jeunes de parents non immigrés. "Cette plus forte préoccupation financière des enfants d'immigrés peut s'interpréter comme le signe d'une volonté d'améliorer des conditions matérielles d'existence en moyenne moins favorables que celles des autres jeunes", souligne M. Caille.

Le rejet de la profession de leurs parents va dans le même sens. Quand leur père est ouvrier qualifié, la moitié des fils d'immigrés ­contre seulement le tiers des autres jeunes ­ déclarent "ne vouloir absolument pas faire la même chose" . Ce rejet s'exprime avec autant de force chez les filles d'immigrés dont la mère est ouvrière ou employée de services. Cette volonté de mobilité sociale constitue "un levier puissant" pour les ambitions d'études et professionnelles qu'expriment ces jeunes.

Peu attirés par les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, de l'alimentation et du service aux particuliers, leurs projets professionnels sont marqués "par une attirance plus grande vers les métiers commerciaux et administratifs". Les fils d'immigrés sont deux fois plus nombreux que les autres à envisager une profession dans ces deux domaines, qui symbolisent à la fois une promesse de profits et d'élévation sociale.

Martine Laronche